Dimensionnement des évaporateurs

Lorsque l’on est en circulation forcée, on maintient fréquemment une pression élevée dans l’évaporateur, si bien que le liquide y est chauffé au-delà de son point d’ébullition, et flashe après détente, dans un séparateur. Les corrélations de transfert de chaleur vers un liquide (même surchauffé) ont été présentées dans les chapitres précédents (principalement le chapitre 2a) et ne seront pas reprises ici.

Cette partie décrit donc le fonctionnement des évaporateurs à tubes verticaux, à circulation naturelle.

Lorsqu’un liquide est mis en ébullition à l’intérieur d’un tube en circulation naturelle, il entre en bas du tube relativement froid et s’échauffe au fur et à mesure de son écoulement vers le haut. Le déclenchement de l’ébullition, à un point donné du tube, entraîne l’apparition de bulles de vapeur, ce qui conduit à l’apparition de la convection et à une brusque augmentation de la vitesse ascensionnelle du mélange. La perte de charge résultante entraîne une diminution du point d’ébullition, ce qui maintient la vaporisation alors que la vitesse dans le tube augmente. Le mélange liquide vapeur émerge ainsi en haut du tube à très haute vitesse.

5.1. Titres et bilans thermiques

Le titre massique x de la vapeur d’un écoulement diphasique est défini par la relation :

avec mvap et mliq les débits massiques de vapeur et de liquide.

Dans un écoulement avec changement de phase, le titre massique x varie le long de la conduite et il est pratiquement impossible de le calculer ou de le mesurer avec une précision acceptable. C’est pour cette raison que l’on utilise une estimation x de ce titre massique calculé à l’équilibre thermodynamique.

Ainsi, pour un fluide qui pénètre dans un tube vertical de diamètre d, avec un débit m et une enthalpie massique Hl,e inférieure à l’enthalpie massique Hlsat

de saturation sous la pression donnée :

  • la vapeur apparaît à la cote z=zsat où la température du liquide Tl devient égale à la température de saturation Tsat. À ce point, x = 0,

  • dans la zone diphasique, un bilan thermique conduit à l’expression du titre massique :

et l’on a : 0 < x < 1

  • le liquide disparaît entièrement à la cote z=zvap, lorsque la quantité de chaleur fournie par les parois du tube sert à élever l’enthalpie du liquide à l’enthalpie de saturation et à vaporiser tout le liquide. Alors, x = 1.

5.2. Description des phénomènes observés

5.2.1. Densité de flux thermique modérée

Dans la plupart des cas un fluide pénètre dans l’installation à une température inférieure à sa température d’ébullition sous la pression considérée. Il est progressivement chauffé jusqu’à ce que la vaporisation se produise. Les figures 19 et 20 ci-après décrivent schématiquement les phénomènes observés à l’intérieur d’une conduite verticale, alors que la figure 21 décrit les variations du coefficient de transfert de chaleur à l’ébullition en fonction du titre massique x.

1. Avant la saturation, le coefficient de transfert de chaleur est décrit par les relations classiques de transfert en phase liquide :

2. Lorsque la température moyenne du fluide approche de la température de saturation (ce qui se passe près de l’entrée dans un évaporateur bien dimensionné) des bulles se forment contre la paroi chauffante, se détachent et migrent vers le centre du tube où la température est inférieure à la température de saturation. Ceci augmente la convection et donc le transfert de chaleur. La vapeur se condense au centre, ce qui réchauffe le liquide. C’est le régime d’ébullition dite sous-saturée (figure 19 A). Dans ces conditions, le coefficient de transfert de chaleur peut être décrit par superposition des corrélations pour la convection forcée en phase liquide (Dittus Boetler) et pour l’ébullition en cuve (Mostinski). Cette partie sera décrite précisément au paragraphe 5. 3.

3. Une fois la température du fluide égale à celle de saturation, les bulles de vapeur ne se condensent plus et leur nombre de plus en plus important tend à les faire s’agglomérer, ce qui entraîne l’apparition d’un écoulement en bouchons (figure 19 B). Il ici s’agit du régime d’ébullition nucléée saturée, dans lequel des bulles continuent à se former à la paroi. Bien que la fraction massique de vapeur x reste ici inférieure à 1%, plus de la moitié du volume se présente sous forme vapeur, et les bouchons entraînent des oscillations de débit dans la conduite, ce qui accroît le coefficient de transfert de chaleur comme le montre la figure 21. Le calcul du coefficient de transfert de chaleur en ébullition saturée sera abordé au paragraphe 5. 4.

4. La quantité de vapeur croissante et la migration des bulles vers le centre du conduit, où elles coalescent, provoque alors un écoulement annulaire (figure 19 C), qui se traduit par la présence du liquide contre les parois. Même s’il reste quelques sites actifs de nucléation de vapeur à la paroi, la principale source de vapeur est ici l’évaporation de l’interface liquide-vapeur à l’intérieur du tube. Ce régime est alors dit de convection forcée par le film liquide. Le coefficient de transfert de chaleur est ici le plus élevé (figure 21) sera décrit comme la superposition d’un mécanisme d’ébullition nucléée et d’un mécanisme de convection forcée monophasique dû au liquide (paragraphe 5. 4.)

5. Pour une fraction massique en vapeur donnée, le liquide se trouvant contre la paroi est finalement complètement vaporisé et seul subsiste du liquide sous forme de gouttelettes (figure 19 D). C’est le point d’assèchement, et l’écoulement qui suit est connu sous le nom de région déficitaire en liquide. La transition du régime annulaire vers le régime de gouttelettes (c’est-à-dire le point d’assèchement) est d’un grand intérêt, car c’est là que le coefficient de transfert diminue considérablement (figure 21). Ce phénomène est appelé crise d’ébullition, de façon analogue à l’ébullition en cuve, et sera décrit paragraphe 5. 5. Le transfert de chaleur après la crise d’ébullition sera décrit paragraphe 5.6.

6. Les gouttelettes disparaissent enfin pour laisser place à la vapeur sèche et à un chauffage par convection forcée en phase vapeur, avec un coefficient de transfert de chaleur moindre qu’en phase liquide. Il sera décrit paragraphe 5. 7.

La figure 20 ci-dessous reprend l’ensemble des régimes d’écoulement préalablement décrits, alors que la figure 21 donne les variations du coefficient de transfert de chaleur en fonction de la qualité.

5.2.2. Influence de la densité des flux

La description précédente correspond à une densité de flux modérée. Pour un débit d’alimentation mconstant, l’augmentation de la densité de flux de chaleur a pour conséquence le déplacement de la courbe h(x) vers la gauche, comme le montre la figure 22 ci-dessous.

Les phénomènes décrits au paragraphe précédent (5. 2. 1.) correspondent sur la figure 22 à la courbe I. Si l’on augmente la densité de flux (courbe II) on s’aperçoit que l’ébullition sous nucléée apparaît plus tôt et que le coefficient de transfert de chaleur est plus élevé dans la zone d’ébullition nucléée saturée. Le phénomène d’assèchement se produit finalement à un titre x plus faible.

En continuant à augmenter la densité de flux (courbes III à VII) on remarque que l’ébullition sous nucléée démarre de plus en plus tôt, et que la chute du coefficient de transfert de chaleur (crise d’ébullition) peut désormais se produire durant l’ébullition nucléée saturée (courbes III, IV et V) ou même durant l’ébullition sous saturée pour les très grandes densités de flux (courbes VI et VII). Ce phénomène est similaire à ce qu’il se passe en ébullition en cuve (la vapeur produite forme un film entre la paroi chauffante et le liquide à évaporer) et est appelé (en anglais) Depature from Nucleate Boiling, DNB.

Ainsi, la crise d’ébullition, qui marque la chute du coefficient de transfert de chaleur, peut apparaître soit par assèchement, soit par DNB. La crise d’ébullition n’est bien évidemment pas recherchée lors du dimensionnement des évaporateurs, et le concepteur cherchera donc à limiter les densités de flux, afin que celle-ci survienne le plus tard possible.

Les paragraphes suivants décrivent un par un les différents les différents régimes de transfert thermique observés ainsi que le calcul des coefficients de transfert de chaleur correspondants.

5.3. Ébullition sous saturée

On décrit ici le calcul du coefficient de transfert de chaleur dans le régime d’écoulement à bulles, observé pour les très faibles qualités et conduisant au régime d’ébullition sous saturée.

L’ébullition sous saturée apparaît lorsque le liquide n’a pas encore atteint sa température de saturation. Le titre massique x y est donc inférieur à 0.

5.3.1. Températures limites

La limite inférieure de la température de paroi nécessaire pour obtenir l’amorçage de l’ébullition sous saturée peut être calculée par :

Cette corrélation est valable pour tous les fluides

L’ébullition sous saturée cesse lorsque le liquide atteint sa température de saturation.

5.3.2. Coefficient de transfert

Dans la zone d’ébullition sous saturée, les bulles prennent naissance à la paroi, se détachent et se condensent au sein du liquide. Les échanges de chaleur se font à la fois par ébullition nucléée et par convection forcée en phase liquide.

Le flux de chaleur est alors décomposé en deux parties, un flux d’ébullition et un flux de convection :

Le coefficient de transfert de chaleur à l’ébullition est déterminé par la corrélation de Mostinski :

et le coefficient de transfert de chaleur de convection par la corrélation de Dittus et Boetler :

où les propriétés physiques sont évaluées sur la phase liquide à la température Tfilm de film égale à (Tliq + Tp)/2

5.4. Ébullition nuclée saturée et convection forcée par le film liquide

En dehors de la faible zone dans laquelle le régime d’écoulement à bulles existe et dans laquelle l’ébullition sous saturée peut avoir lieu, le liquide se trouve à sa température de saturation. Le transfert de chaleur se fait d’abord par ébullition nucléée saturée (écoulement en bouchons), puis, lors de l’écoulement annulaire, par convection forcée monophasique à travers le film liquide à la paroi.

Le coefficient d’échange de chaleur h pourra ici être calculé à l’aide de la corrélation de Chen, qui fait intervenir un premier terme lié à l’ébullition nucléée saturée et un second lié à la contribution de la région annulaire :

où : d est le diamètre de la conduite,

G la vitesse massique à l’intérieur d’un tube (= ρ*u)

L’écart de pression ΔPsat peut être calculé par la relation de Clapeyron :

Et les facteurs F1 et F2 peuvent être calculés par les équations approchées suivantes :

5.5. Crise ébullition

Lorsque la paroi n’est plus en contact avec le liquide, le coefficient d’échange de chaleur décroît de façon significative.

Comme nous l’avons vu au paragraphe 5. 2. 2., la crise d’ébullition peut apparaître soit par disparition du liquide en contact avec la paroi (assèchement) soit par arrêt de l’ébullition nucléée (DNB). Ces phénomènes correspondent tous deux à une même densité de flux critique, qui dépend principalement du titre massique x et de la sous saturation Hlsat-Hl,e.

La densité de flux critique correspondant à la crise d’ébullition peut être calculée par la corrélation de Bowring :

où Φ/S est la densité de flux critique en W.m-2, Hlsat-Hl,e est la sous saturation en J.kg-1 et L la longueur de la conduite en m.

Les grandeurs A, B et C sont définies par :

où G est la vitesse massique (=ρ*u) et l’exposant n est donné par la relation :

avec la pression P en bars.

F3, F4, F5 et F6 sont fonction de la pression et sont tabulées ci-après :

La corrélation de Bowring est scientifiquement injustifiable, mais techniquement très utile. Elle est valable uniquement pour de l’eau, des diamètres de tubes entre 2 et 45 mm et des longueurs de tubes de 15 cm à 3,70 cm.

5.6. Transfert de chaleur après la crie d'ébullition

5.6.1. Écoulement dispersé

Si la crise d’ébullition apparaît par assèchement et disparition du film liquide en contact avec la paroi (cas des densités de flux de chaleur modérées), l’écoulement est qui suit est un écoulement dispersé de gouttelettes dans un coeur de vapeur (région déficitaire en liquide).

Dans ce cas, le coefficient de transfert de chaleur peut être calculé par la corrélation de Groeneveld :

et les propriétés physiques de la vapeur sont évaluées à la température Tp de la paroi.

5.6.2. Écoulement annulaire inversé

Si la crise d’ébullition apparaît par arrêt de l’ébullition nucléée (DNB), alors l’écoulement qui suit est du type annulaire inverse et un film de vapeur isole la paroi du coeur liquide.

Le coefficient de transfert de chaleur est ici évalué par la corrélation de Bromley – Léonard :

avec :

Dans ces relations, les propriétés physiques de la vapeur sont évaluées à la température de film (Tp + Tsat)/2.

5.7. Convection forcée en phase vapeur

Enfin, le coefficient de transfert de chaleur en phase vapeur peut être évalué par la relation de Bishop :

où les propriétés physiques de la phase vapeur sont aussi évaluées à la température de film (Tp + Tsat)/2.

5.8. Conclusion

Nous avons ainsi présenté les différents régimes d’écoulement et de transfert pouvant se produire dans les évaporateurs à tubes verticaux. Le calcul du transfert de chaleur peut ainsi être entrepris en fonction des conditions locales d’écoulement. Les difficultés sont ici liées à l’historique du transfert (crise d’ébullition qui apparaît par DNB ou assèchement) et très souvent à la difficulté d’obtention des données d’équilibre thermodynamique ou de transfert. L’exemple qui suit permet de se familiariser avec le dimensionnement des évaporateurs dans un cas relativement simple.