Méthodologie en histoire des sciences

Introduction

« L'histoire que j'ai composée est faite de ces deux parties : la plume et le burin y disputent par un noble combat à qui représentera le mieux les objets qu'elle traite, l'œil y trouve son divertissement aussi bien que l'esprit, et elle fournit de l'entretien pour ceux mêmes qui ne savent pas lire ou qui ne veulent pas s'en donner la peine. »

François-Eudes de Mézeray, Histoire de France depuis Pharamond jusqu'au règne de Louis le Juste, 1685, préface.[1]

Extraite de l'Histoire de France depuis Pharamond jusqu'au règne de Louis le Juste de François-Eudes Mézeray, cette citation datant de la fin du XVIIe siècle rappelle que l'utilisation des images relève d'une pratique ancienne des historiens. Cet usage s'est poursuivi jusqu'à aujourd'hui en explorant de multiples voies d'accès aux œuvres : « L'histoire de l'Art traite des techniques de fabrication, des effets de style et d'école ; l'iconologie ou la sémiologie traite de l'aspect symbolique des œuvres (soit en éclairant l'image par son milieu intellectuel, soit par une analyse interne des formes) ; l'histoire des mentalités traitera des influences et de la place des images dans la société » (Debray, 1992, 146). Cette spécialisation académique s'élabore autour de deux perspectives souvent divergentes, qualifiées d'interne et d'externe : « l'union mystique à l'objet unique et le détour sceptique par le contexte social ; le discours intuitif du connaisseur et le discours explicatif du professeur; l'esthétisme et l'historicisme; le sentier et le savoir » (Debray, 1992, 173). L'histoire des représentations a contribué à rapprocher les perspectives du singulier et du social dans l'analyse iconographique. Le cours n'a pas pour ambition de dessiner une histoire des images depuis l'Antiquité ni d'établir une méthode cohérente d'analyse iconographique. La bibliographie donnera quelques pistes d'approfondissement en ce sens.

Plus modeste et plus appliqué, l'objectif premier du cours est de montrer l'intérêt de l'analyse iconographique en histoire des sciences et des techniques. L'image, au même titre que le texte, est une source pour l'historien. Au même titre, elle doit être soumise par l'historien à une méthode critique d'utilisation. Quatre cas sont successivement considérés variant les époques et les territoires sans dépasser les limites européennes des époques modernes (XVIe-XVIIIe siècles) et contemporaines (XIXe-XXe siècles). Les trois premiers cas donnent lieu à des analyses détaillées tandis que le quatrième se présente sous la forme d'une mise en situation du lecteur. Le premier cas, qui expose une lecture multiple d'un tableau du XVIe siècle, La chute d'Icare, fait ressortir quatre perspectives : artistique, mythologique, économique et technique. Ainsi, il retrace comment l'œil et la main de l'artiste saisissent des spécificités de l'époque que sa morale juge. La technique y apparaît comme un produit social. Tout comme son double ambiguë, la science : en rapprochant deux images du corps humain du XVIe et du XVIIe siècle, le deuxième cas glisse des savoir-faire aux savoirs. Il montre une rupture culturelle profonde, qui, durant la Renaissance, transforme les images du monde héritées des universités médiévales en représentations nouvelles, façonnées par la philosophie mécaniste des sciences de la nature, émergentes aux XVIe et XVIIe siècles. Le troisième cas se focalise sur un objet scientifique et technique – la pompe à air – et les démonstrations qu'il permet. Ce faisant, il montre que les sciences de la nature se légitiment en partie grâce à l'effet réaliste de certaines images de laboratoire. Une fois leur légitimité assurée, les pratiques savantes circulent vers les cercles profanes. L'innovation expérimentale s'accompagne d'une nouvelle morale dans la relation de l'homme à la nature : du geste à la mentalité ou de la mentalité au geste ? Le quatrième cas fait un détour par la science-fiction et la « techno-science ». Mary Shelley imagine le docteur Frankenstein comme « le Prométhée moderne » au début du XIXe siècle avant que sa créature ne s'émancipe dans la première moitié du XXe siècle à travers le spectacle de l'industrie cinématographique. Cycle indéfiniment recommencé : produit social et culturel, les sciences et les techniques fabriquent, en retour, du social et du culturel.

Si la diversité des images répond à trois types principaux aujourd'hui – images fixes (dessins, peintures, gravures, photographie), images animées (télévision, vidéo, cinéma) et images stéréoscopiques à trois dimensions (Duprat, 2010, 307) – le premier type occupera ci-après le devant de la scène en raison de son importance sociale et culturelle dans l'histoire occidentale jusqu'au XXe siècle. L'objectif premier du cours est donc bien de montrer la diversité des utilisations des images fixes (puis animées) comme source en histoire des sciences et des techniques à travers quatre parties montrant successivement :

  1. les techniques comme produit et moyen social ;

  2. les savoirs comme représentations du monde ;

  3. les sciences expérimentales (soutenues par les images réalistes) comme action sur le monde physique et moral ;

  4. les techno-sciences comme génératrices de cultures et d'imaginaires.

Mais, comme l'historien ne peut s'empêcher la « mise en récit » (Veyne, 1971), le cours forme une histoire imagée des sciences et des techniques aux époques moderne et contemporaine à travers quatre séries d'instantanés. C'est le second objectif. Par ces deux voies, le cours nous conduit aux cœurs des représentations conscientes et inconscientes de la vie intellectuelle et matérielle des sociétés européennes depuis cinq siècles.

  1. François-Eudes de Mézeray, Histoire de France depuis Pharamond jusqu'au règne de Louis le Juste, 1685, préface.

    Cité par Annie Duprat (2010, 311).

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