PHONOGRAPHÉMATIQUE CRÉOLE

L'aventure étymologique de la graphie créole

C'est en Haïti que sont apparus les premiers textes en créole et que les tentatives d'écriture ont été les plus nombreuses et les plus variées, en commençant par le réflexe étymologique pour aboutir au principe phonologique. L'un des textes les plus anciens dont on ait gardé la trace est un poème intitulé Lisette quitté la plaine. La toute première version de ce texte, signée par un Créole originaire de la Martinique, Moreau de Saint-Méry, date de 1793 et apparaît dans un ouvrage intitulé Description topographique, physique, civile, politique et historique de la partie française de l'isle de Saint-Domingue. Elle sera comparée ici avec une autre version, datant de 1811 et publiée à Philadelphie dans un recueil anonyme intitulé Idylles et chansons ou essais de Poésie Créole. En voici le premier couplet :

Description topographique, physique, civile, politique et historique de la partie française de l'isle de Saint-Domingue.
Idylles et chansons ou essais de Poésie Créole 1811

On voit donc que tout en adhérant à l'orthographe française pour la représentation de la plupart des mots créoles, les auteurs respectifs de ces textes prennent tout de même un certain nombre d'initiatives propres à chacun pour essayer de représenter la prononciation créole. Il en sera ainsi pendant plus d'un siècle, car chaque scripteur s'attachant à mettre par écrit le créole le fera toujours en référence constante au français, et ce, sans avoir à sa disposition la moindre règle graphique. En conséquence, bien que tous tendent vers un but commun (l'écriture du créole), et que tous entendent atteindre ce but en application d'un seul et même principe (la référence au français), on aboutit en fin de compte à des représentations fort variables d'un scripteur à l'autre. Cet état de fait peut aisément se constater à travers les nombreuses proclamations faites en créole durant l'époque coloniale : leur multiplicité offre à l'œil du lecteur attentif autant de variation graphique qu'il y a de scripteurs. À titre illustratif, voici une proclamation datant de 1802 et signée de la main de Napoléon Bonaparte, laquelle vise à persuader les Noirs de retourner travailler sur les plantations après la révolte des esclaves en Haïti :

proclamation

L'écriture étymologique sera plus tard l'objet d'une tentative de systématisation lorsqu'en 1901 Sylvain Georges écrit Cric ? Crac, ouvrage auquel il joint un appendice grammatical expliquant sa graphie et les règles qu'il s'est fixées. Sylvain Georges indique clairement que sa démarche consiste à « conserver, le plus possible, aux mots dérivés du français leur physionomie française, mais sans jamais sacrifier l'expression phonétique à l'étymologie » : autrement dit, son modèle de départ pour écrire le créole reste l'orthographe française, mais il s'octroie le droit de l'adapter lorsqu'il le juge nécessaire. On peut citer, parmi l'ensemble de règles établies par Sylvain Georges, quelques-unes qui résument l'esprit du système adopté :

- si un mot créole se prononce comme le mot français dont il est issu, il s'écrira de la même façon que celui-ci (ex : dans, pas, longtemps, gros) ;

- si un mot créole contient une consonne finale qui est prononcée alors que le mot français dont il est issu contient cette même consonne qui n'est pas prononcée, on doublera la consonne à l'écrit en créole (ex : en français on dit « ravet » sans prononcer le « t » et en créole le « t » final se prononce, donc on écrira en créole « ravett » pour bien indiquer qu'il faut prononcer ce « t ») ;

- tous les « e » muets du français sont supprimés et remplacés par une apostrophe (ex : poul', nèg', pròp) ;

- si un mot créole contient une voyelle nasale que ne contient pas le mot français dont il est issu, cette voyelle nasale sera notée en créole (ex : on écrit « jamais » en français et « janmain » en créole).

Il n'est pas question de donner ici une liste exhaustive des principes graphiques de Sylvain Georges, sinon d'attirer l'attention sur le fait que sous la plume de cet auteur, l'écriture du créole commence à prendre certaines distances par rapport à celle du français.

La pratique de l'écriture créole va prendre un tout autre chemin vers le milieu du vingtième siècle avec l'élaboration d'un système à base phonologique.

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