L'héritage de Binet figé par Simon - Oublié par Piéron repris par Zazzo
Binet n'a pas eu d'héritiers directs si ce n'est le Docteur Simon, mais le Docteur Simon a plutôt érigé le test un peu comme un mausolée, c'est-à-dire c'était l'héritage et on ne touchait pas à l'héritage, c'est évidemment paradoxal, ce n'est pas comme ça que fonctionne la science, ce n'est pas comme ça que les choses évoluent, on va voir que l'héritage tel qu'il va être repris ailleurs et entre autre ce qui deviendra plus tard l'Inetop par Piéron, va être beaucoup plus « scientifique » mais dans le côté qui est un peu, (désolé pour Piéron), desséchant aussi, Piéron va orienter toute la psychométrie française vers le testing collectif, vers quelque chose qui est beaucoup plus anonyme. On fait des calculs, on fait passer collectivement les tests et puis on a un résultat qui est censé être le bon reflet des différentes compétences du sujet, avec une approche beaucoup plus analytique, et ça c'est un certain courant qui était très fortement critiqué (et je dirais à juste titre aussi dans la foulée de mai soixante-huit) parce qu'on était là dans quelque chose qui était psychotechnique, si on regarde les termes qu'on utilisait dans les années cinquante soixante, on parlait de psychotechniciens. Ce n'est pas du tout l'état d'esprit avec lequel Binet aborde le testing, il l'aborde dans un sens beaucoup plus clinique, comme une relation, le test c'est un révélateur, c'est un outil qui nous permet de mettre à jour un certain nombre de phénomènes qui demandent à être saisis, compris et interprétés par le psychologue.
Piéron est beaucoup plus dans de la technologie de la mesure où le sujet apparaît presque éjecté. À côté de ça il y a quelques survivances de l'esprit de Binet, en France clairement, avec René Zazzo, Zazzo apparaît pour moi vraiment avec un gros décalage dans le temps puisque Zazzo va se dire : « mais il y a quand même quelque chose d'intéressant dans l'échelle originelle de Binet qui est resté telle quelle mais qui petit à petit a périclité », à tel point d'ailleurs qu'on en est venu à traduire l'échelle américaine qui était l'héritière de ce qu'on appelle le Terman, Terman qui était l'adaptateur dans les années dix aux États-Unis du test de Binet. Il le traduit mais il le développe beaucoup, il va ajouter beaucoup d'épreuves, il va améliorer vraiment l'instrument, on le traduit en français, c'est un peu paradoxal alors que le Binet-Simon originel, lui, il reste juste tel quel. Zazzo se rend bien compte qu'il y a des choses qui ne vont plus, que les normes ont évolué, la population n'est plus la même, il va essayer de changer le test mais avec des moyens fort limités ; il va développer d'autres tests parce qu'il a vraiment une sensibilité clinique, il est vraiment l'héritier de la sensibilité, mais Zazzo va rester relativement isolé, il va souffrir de l'esprit de mai soixante-huit qui, au fond, va mettre tous les tests dans le même panier, tous les tests collectifs, ce côté-là, psychotechnique à la Piéron, va emporter dans son sillage les tests cliniques de Zazzo qui sont pourtant vraiment des tests intéressants parce qu'ils sont vraiment centrés au-delà de l'intelligence, avec toutes les qualités humaines, une appréhension du sujet très fine ; je trouve qu'il y a beaucoup de finesse et beaucoup de respect dans l'approche de Zazzo. Une autre filière, c'est André Rey, en Suisse, qui va aussi à la même époque que Zazzo vraiment développer des tests dans l'esprit clinique de Binet, c'est un homme extrêmement créatif, on devrait redécouvrir l'apport au niveau du diagnostic mais là malheureusement pour André Rey, il fait sa carrière en plein au moment où Jean Piaget émerge et comme on le sait évidemment, l'ombre de Piaget a obscurci tout ce qui se fait d'autre à Genève (en dehors de Piaget) à l'époque, il n'avait pas d'oxygène, alors que c'était vraiment un homme d'exception, il a beaucoup pâti de l'ombre de Jean Piaget, donc on voit que là il y a vraiment des lignes de développement qui se sont coupées malheureusement suite à différents événements.
