Alfred Binet - naissance de la psychologie scientifique

Un siècle plus tard

À partir du travail créateur et novateur de Binet, on peut dire sur l'évolution des tests et de l'usage des tests, (je pense qu'on ne peut pas penser aux tests indépendamment de la manière dont on les utilise, c'est indissociable), on peut voir quatre âges dans l'évolution de la place des tests et de leurs utilisations en France : il y a le moment créateur avec Binet où il invente l'instrument, il invente la manière de l'utiliser aussi, comment je l'utilise pratiquement, comment j'interprète les résultats, et là tout est à inventer : les concepts d'étalonnage, les concepts de fiabilité, de précision de mesure , de validité, on est encore nulle part dans ces concepts-là ; il y a quelques héritiers lointains dont Rey et Zazzo mais qui restent très isolés et de l'autre côté le deuxième âge qui vient juste après, pour moi c'est un peu une espèce de caricature de ce qu'avait voulu lancer Binet et là on est beaucoup plus dans une approche collective, on n'est plus dans une interprétation mais dans une approche technicienne voire même technocratique avec beaucoup de dérives où l'objectif est souvent de bien ranger les sujets dans des petites cases ; on est vraiment quasiment dans la logique du Taylorisme, la bonne personne à la bonne place, on est aussi dans l'orientation professionnelle avec l'idée d'identifier le bon profil qui va faire le bon travailleur et un certain nombre de psychologues très techniciens entrent dans cette logique-là.

Je pense qu'il y a eu une réaction très salutaire et qui pour moi était vraiment une dérive du testing à une époque, aussi je me rappelle avoir discuté avec une très vieille dame qui est décédée aujourd'hui et qui avait travaillé dans le domaine de l'orientation au tout début des années cinquante où l'industrie redémarrait et il fallait trouver des bonnes personnes qu'on demandait aux psychologues d'identifier. Elle me citait l'exemple d'un collègue qui cherchait des gens pour travailler dans une clouterie et alors il avait examiné les sujets des tests et avait dit à un jeune garçon, « toi mon gars tu es fait pour être cloutier », donc on était vraiment là dans une logique très caricaturale, l'acte était rejeté. Pour moi la troisième étape c'est celle où on jette le bébé avec l'eau du bain, au fond ce qui n'est pas bien, c'est les tests, et la mesure c'est pas bien, on va rejeter à la fois l'outil et sa méthodologie alors qu'en réalité ce qu'on a oublié, ce qu'on a négligé, c'est que le test n'est qu'un outil, et que l'outil ne prend sa valeur qu'au travers de son utilisateur. J'ai l'habitude de dire à mes étudiants, « chaque année il y a des gens qui sont tués à coups de marteau pourtant on n'interdit pas les marteaux, on ne dit pas que les marteaux sont mauvais, on a fait un mauvais usage du marteau ». Je pense que c'est juste la même chose avec les tests, le test est un outil, qu'est-ce qu'on veut faire, qu'est-ce qu'on veut dire avec les résultats obtenus avec le test ? à ce moment-là on a dit les tests ne sont pas bons, on les rejette, on rejette toute la méthode de l'évaluation voire même les diagnostics, et on va voir sombrer complètement en France la recherche sur les tests, la recherche sur le diagnostic, la recherche sur la mesure parce que la mesure devient tout à fait suspecte alors que dans d'autres pays, surtout les pays du nord de l'Europe, parce que l'histoire est différente, continuer à avoir une recherche et une certaine vie dans ce domaine-là. Et pendant ce temps, en France, les éditeurs qu'est-ce qu'ils font ? Essentiellement ils adaptent les tests américains.

Il n'y a pratiquement plus de nouveautés qui vont se créer dans les années 70, 80, jusqu'à l'aube des années 90 et on entre dans une quatrième étape, un quatrième âge des tests, qui se justifie par différents facteurs ; je pense qu'il y a un premier facteur, que l'on se rend compte qu'on privilégie dans le domaine clinique en particulier la relation, mais c'est aussi penser que le psychologue a un jugement qui est absolument sûr, fiable, il est quasiment au-delà de tout billet, or les travaux en psychologie sociale commencent à montrer que notre jugement est très souvent biaisé et que le psychologue n'a absolument aucune caractéristique qui ferait que son jugement ne serait jamais biaisé ; il est victime de toutes sortes de stéréotypes, de toutes sortes d'effets halos, et cetera. On a énormément de travaux qui montrent que si vous vous basez uniquement sur votre jugement vous allez vous tromper très souvent sur des sujets que vous avez en face de vous, même si vous avez une assise théorique solide, même si vous avez beaucoup d'expérience, on se dit peut-être effectivement croiser les informations, avoir des informations et le testing devient une source d'information, ce n'est plus un outil dans la lignée de Pierron, dans le deuxième âge, qui devenait un peu omniscient, on faisait passer le test et le résultat vous mettait dans une petite case. On se dit non, le test est une autre source d'information que l'on doit croiser avec les informations que j'ai dans l'entretien et qui me permet aussi de mettre des hypothèses à l'épreuve des faits, on élabore les hypothèses, et on avance comme cela, c'est quand même un autre regard, c'est vraiment le test comme un outil qu'on doit utiliser avec intelligence ; d'ailleurs j'aime beaucoup le titre d'un ouvrage d'un auteur américain qui s'appelle Alan Kaufman qui parlait d'un test d'intelligence : le WISC-R , et il parlait à ce propos c'est l'Intelligent Testing WISC-R, un testing intelligent avec le WISC-R et c'est bien le problème les tests d'intelligence, il faut d'abord les utiliser avec intelligence et malheureusement ça n'a pas toujours été le cas, on les a parfois utilisés de manière très caricaturale, très bête si on peut dire, c'est un peu paradoxal ce mésusage des tests d'intelligence.

Rappel

Cliquez sur le lien ci-après pour accéder à la vidéo : http://alfredbinet.univ-lorraine.fr/#un_siecle_plus_tard

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