Alfred Binet - naissance de la psychologie scientifique

La voie médiane d'Alfred Binet

La beauté de Binet et ce qui fait à la fois sa postérité, on l'a peut-être oublié mais ce qui fait aujourd'hui sa postérité et toute sa finesse, son intelligence c'est d'avoir trouvé cette voie d'équilibre entre la médecine et la philosophie, c'est aussi un équilibre entre la possibilité de mesurer l'humain et la possibilité de lui laisser quelque chose de mystérieux, quelque chose de propre, quelque chose de libre, c'est vraiment ce débat entre ce que les philosophes appellent le déterminisme et la liberté et Binet incarne cet échange-là parce qu'il a trouvé cette voie qui est entre les deux. On a souvent limité Binet à son test d'intelligence, ce qui pose la question de la mesure possible de l'intelligence, est-ce qu'on peut mesurer l'être humain ? est-ce que l'être humain est entièrement évaluable ? et pire, est-ce qu'on peut ranger des enfants, des gens dans des cases selon les critères qui sont entièrement quantitatifs et objectivistes ? et l'usage qui a pu être fait aux États-Unis, par exemple, des tests d'intelligence pour la sélection des immigrés à Ellis Island pose des questions presque éthiques, complètement éthiques de savoir dans quelle mesure on peut se fier à des mesures scientifiques pour juger des gens qui sont des êtres humains, qui sont toujours plus, en tout cas on l'espère, que de simples chiffres. On connaît les dérives du XXe siècle quand on a limité ou réduit les êtres humains à des chiffres, à de la matière mesurable, à de la matière utilisable, à de la matière de production et donc quelque part Binet s'institue dans ce débat-là parce que les usages qui ont pu être faits de ses travaux ont longtemps été inscrits dans un côté ou l'autre parce qu'il a voulu trop valoriser la méthode expérimentale, qu'il aurait participé à cette instrumentalisation de l'homme qui caractérise quand même les sciences objectivistes et les sciences quantitatives, à partir du moment où on veut mesurer de manière stricte quelque chose qui ne rentre pas dans une case, on lui fait violence quelque part et le débat qui a pu avoir lieu autour de ses filles comme outils ou comme sujets d'expérimentation a toujours placé Binet d'un côté obscur qui serait celui de la dérive scientiste. Au profit de la science on est prêt à tout faire, même à calculer tout, à utiliser ses propres enfants ou à mettre des enfants dans des cases pour mieux les ranger dans des écoles, c'est une lecture trop rapide de Binet, en même temps on aurait pu considérer de l'autre côté en disant que Binet finalement a favorisé avant tout la pédagogie, qu'il a favorisé cette liberté de l'enfant un peu comme a fait Ovide Decroly en ayant une pédagogie plus libre, en disant mais non finalement, ce qu'il disait dès le début de son étude de l'intelligence : « on ne peut pas mesurer l'intelligence, l'échelle métrique que je vous propose ne sert pas à mesurer l'intelligence, elle sert à donner des repères pour faire autre chose, c'est un un outil, il ne faut pas mélanger le moyen et la fin », Binet peut être aussi considéré de ce côté-là mais pour moi il est vraiment au milieu parce que toute la beauté de ce qu'a fait Binet et ce qu'on redécouvre aujourd'hui grâce à de nouvelles archives, grâce à de nouveaux textes de Binet, c'est que sa volonté était vraiment de maintenir l'équilibre, son souci était à la fois scientifique et éthique, le fait de mélanger la médecine et la philosophie, de trouver l'équilibre entre les deux, c'est aussi l'idée de trouver un équilibre entre accéder à une vérité par la méthode expérimentale mais toujours prendre en compte que la méthode expérimentale ne nous dit pas tout. C'est pour ça qu'il travaille sur la suggestibilité, c'est pour ça qu'il travaille sur ce qu'il appelle le milieu psychologique, ce qui se passe autour de l'expérimentation, parce qu'il sait très bien que au-delà de la mesure physique, au-delà de la mesure tout court, il y a quelque chose qu'on ne peut pas mesurer ; or ce que Binet a toujours cherché c'est ça, c'est saisir ce qui se passe autour de la mesure, ce qui se passe en plus de la mesure et la psychologie de Binet se trouve ici dans cet espace-là, qu'est-ce qui se passe quand on mesure des gens ? et en ce sens-là il a trouvé l'équilibre, il a toujours fait passer l'humain avant la mesure, parce qu'il a toujours dit : voilà la psychologie elle se doit de cerner de l'humain en action, elle s'adresse à un humain qui est en train de vivre, donc tout ce qu'on peut faire pour le cerner, il faudra toujours prendre en compte le fait que c'est un humain en train de vivre, et donc il a toujours valorisé le fait que l'humain est en train de vivre, le sujet qu'on observe est un être humain qui vit, et donc toutes les mesures qu'on peut lui appliquer ne nous apportent qu'une toute petite partie de la vérité.

La grande partie de la vérité que Binet recherchait était dans cet au-delà de la mesure, dans cet humain qu'il est en train d'observer, c'est pour ça qu'il a mis en place des stratégies qui lui permettraient toujours d'observer sans presque être vu, voir les gens vivre, le laboratoire école en est un très bon exemple, les enfants vivaient comme dans une école mais c'était aussi un laboratoire, il y avait cette perspective-là et je pense que ce qu'on a ignoré, parce que Binet n'a pas eu le temps de théoriser complètement, c'est-à-dire cette psychologique qui était la sienne, scientifique, qui était dans un champ de recherche plein et à part entière et qui se situait à l'équilibre entre la médecine et la philosophie, il l'avait pensée, il l'avait pratiquée, il n'avait pas eu le temps de la théoriser , on en retrouve aujourd'hui des traces mais je pense que son modèle à lui avait trouvé l'équilibre, il avait trouvé l'équilibre entre les deux, il avait trouvé l'équilibre entre les dérives scientistes qu'a pu connaître la psychologie plus tard aussi et dont le grand modèle et l'expérience de Milgram, qu'est-ce qu'on peut faire avec la psychologie ? jusqu'à quel point on peut pousser l'expérience scientifique avec des humains ? et le côté d'une psychologie qui serait simplement complètement philosophique, qui serait une réflexion obscure sur les facultés de notre esprit mais entièrement non scientifique.

Il a trouvé l'équilibre entre les deux et cet équilibre-là et à la fois scientifique et éthique, parce qu'il nous indique je pense aujourd'hui une voie pour la psychologie qui se débat toujours entre des domaines qui seraient opposés, d'un côté psychanalytique, d'un autre côté comportemental et psychanalytique, et les livres noirs se succèdent et s'opposent, alors que la psychologie devrait suivre une voie médium et à la fois Binet nous indique la voie médium de la science en général, grande leçon pour le XXe siècle qui s'est caractérisé quand même par la dérive de la science, cette science dont on avait vu tous les espoirs depuis le XVIIIe siècle, qui nous avait montré qu'on avait désormais avec la science un outil pour perfectionner l'homme, pour améliorer l'homme, pour améliorer la société, et cet outil dans lequel on avait mis tant d'espoir, espoir qu'on a appelé le progrès, finalement le XXe siècle nous a révélé qu'il avait une face obscure, que ce soit dans les dérives des camps nazis avec leurs médecins ou dans l'horreur de la bombe nucléaire mais dans les deux cas la période du XXe siècle a été marquée par cette ambivalence vis-à-vis de la science. Désormais on est à la fois plein d'espoirs vis-à-vis des sciences et à la fois très craintif vis-à-vis de ce qu'elle peut nous apporter, et je pense que ce que fait Binet nous montre une voie à suivre aussi parce qu'il nous donne un équilibre entre ce que nous apporte la science et ce qu'il faut relativiser par rapport au discours de la science, et si il y avait à poursuivre la parole de Binet, ce qu'on essaie de faire encore aujourd'hui, quand on retrace sa pensée, quand on ressort ses textes perdus, quand on retrouve des lettres , c'est à la fois de rendre sa pensée et de voir en quoi sa pensée est très innovante et très riche d'enseignement et pour le XXe siècle qui vient de se finir et pour le XXIe siècle qui débute et qui débute sur les mêmes problèmes et les mêmes enjeux notamment dans ce rapport de la science par rapport à l'homme.

Rappel

Cliquez sur le lien ci-après pour accéder à la vidéo : http://alfredbinet.univ-lorraine.fr/#la_voie_mediane_d_Alfred_Binet

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