Alfred Binet - naissance de la psychologie scientifique

La mesure n'est pas a priori "inhumaine"

Il faut voir la science aux alentours de 1900, on est quand même dans un autre état d'esprit avec la science qui va résoudre tous les problèmes de l'humanité et quantifier apparaît comme quelque chose de très positif, on a vu aussi beaucoup de dérives et la quantification apparaît aujourd'hui comme une source de dérive très négative, on catégorise, on classe, on rejette, il y a toutes sortes de qualificatifs que l'on peut donner à la mesure, pourtant mesurer en tant que tel ne devrait, pour moi, pas être choquant. D'abord j'ai souvent dit à mes étudiants, je me rappelle d'un comédien qui disait : « l'amour ne se mesure pas », et j'ai dit à mes étudiants, mais si il se mesure, tout le monde le fait, vous aussi vous le faites, pourquoi quand je dis Jeanne est plus jolie que Julie, vous faites de la mesure, vous ordonnez, vous faites déjà un classement, donc est-ce qu'il a quelqu'un qui n'a jamais fait ça ? je ne peux pas classer, je peux pas mesurer, toutes les femmes sont jolies, on peut avoir une vision très idéaliste, mais dans la réalité dès le moment où vous dites X est plus que Y sur une variable quelconque, j'aime mieux, je suis plus attiré par, mon cœur bat plus fort quand je vois Julie que quand je vois Jeannette, je mesure quand même, qu'on le veuille ou non, le tout c'est de ne pas être réducteur, c'est de ne pas penser que tout se trouve dans cette quantification, c'est un aspect des choses, donc moi ça ne me choque pas a priori, dès le moment où vous dites : il y a d'autres caractéristiques que celles-là, mais voilà l'être humain, et c'est un avantage, peut quantifier les phénomènes qu'il observe quels qu'ils soient, qu'ils soient humains ou pas humains, donc il n'y a pas de « chasse gardée » de dire l'être humain ça ne se mesure pas, honnêtement si on est dans l'esprit de Binet je trouve que c'est un choix idéologique de dire que ça ne se mesure pas, qui est aussi discutable que de dire l'inverse, tout se mesure, il s'agit de mesurer l'être humain, dès le moment où vous ordonnez vous êtes dans le niveau basique de la mesure, donc c'est la mesure qu'on appelle ordinaire et puis dès le moment où vous commencez à mettre un ordre vous allez avoir une mesure un peu plus sophistiquée qui est de dire quelle est la distance. Si on prend l'exemple des coureurs du tour de France, la mesure qui est la plus simple, qui est le premier ? qui est le deuxième ? qui est le troisième ? et l'étape suivante : quelle est la distance qui s'écoule entre le premier et le deuxième et le troisième ? donc là on a une mesure un petit peu plus sophistiquée, mais en soi c'est une information parmi d'autres, et à certains moments ça peut être intéressant de l'avoir, mais qu'est-ce qu'on en fait ? À nouveau, là, c'est la question éthique qui est posée, se dire : la conséquence est négative donc on ne peut pas le faire, ça me paraît aller trop vite, parce qu'on peut aussi voir des conséquences positives de la mesure, et dans un certain nombre de cas c'est intéressant de se rendre compte ; moi j'ai eu pas mal de situations où voir des élèves, j'ai travaillé longtemps dans des milieux défavorisés, pendant plus de dix ans avec des enfants qui avaient des difficultés scolaires et à certains moments je pouvais leur dire que : « dans telle ou telle tâche tu t'en sort mieux que la moyenne des enfants de ton âge », c'était pour moi un message positif, tous les résultats qu'ils avaient à l'école disaient juste le contraire. Je trouve qu'à certains moments ça peut être intéressant de dire ça à quelqu'un, de dire : « quand je te vois réfléchir sur des tâches complexes et quand je vois des enfants qui ont le même âge que toi tu raisonne plus vite, tu résous des problème plus complexes, il y a peut-être là quelque chose que tu peux utiliser », donc on est là dans un usage qui peut être tout autre, et je crois que Binet en tout cas n'avait pas une vision de rejet ou de classification, je crois qu'il essayait, il faut bien se mettre dans l'état où on était à l'époque, on demande à des instituteurs à l'époque de repérer des enfants qui ont un handicap mental et pour lesquels l'enseignement ordinaire ne convient pas et puis vous imaginez l'instituteur dans sa classe il va se baser sur son jugement, tout le monde à l'école a quand même des souvenirs de l'un ou l'autre des enseignants qui nous ont jugé sur des tas de caractéristiques qui étaient non pertinentes, sur notre tête, sur notre accent, sur nos vêtements, sur notre famille, on se rend compte que le jugement des instituteurs, il n'est pas bien fondé dans beaucoup de cas, il y a des instituteurs qui sont peut-être très fins, et il y en a d'autres qui classent les sujets, donc à un moment donné on se dit, il faut peut-être avoir des informations un peu plus solides pour prendre une décision aussi grave que de dire on le retire de l'enseignement ordinaire on le met dans une classe spécialisée, est-ce que c'est la bonne idée de le mettre dans une classe spécialisée ? c'est un autre débat, il faut des moyens de remédiation, à certains moments l'information ne doit pas être non plus rejetée, alors on dit oui on met en évidence des différences alors ça a été tout le rejet de la psychologie différentielle, mais bon moi, je regrette, mais quand on a affaire à des enfants qui, parce qu'ils viennent d'un milieu défavorisé, abordent l'enseignement primaire avec déjà un retard au niveau du langage, au niveau numérique, et vous dites : il ne faut pas mettre en évidence les différences, ça c'est casser le thermomètre parce qu'il montre que le sujet a de la température, ou c'est tuer le messager qui arrive avec un mauvais message, est-ce que c'est ça qu'il faut faire ? moi je pense que non.

Rappel

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