Platon : L'immatérialité de l'âme
Extrait de « Phedon » - Platon
C'était tout à fait comme si un homme disait d'abord que tout ce que fait Socrate, il le fait grâce à son intelligence ; et qu'ensuite, se mettant à énumérer les causes de chacune de mes actions, il affirmait en premier que je suis, maintenant assis là, parce que mon corps est constitué d'os et de muscles ; que les os sont solides, qu'ils sont par nature séparés et articulés les uns aux autres ; que les muscles eux, peuvent se tendre et se détendre et qu'avec les chairs et la peau (qui maintient tout cela ensemble) ils enveloppent les os ; que donc, du fait que les os jouent dans leurs jointures, c'est le relâchement ou la contraction des muscles qui, en somme, font que je suis capable à cet instant de fléchir mes membres ; et que telle est la cause en vertu de laquelle, m'étant plié de la sorte, je me trouve assis où je suis. Ou encore comme si, s'agissant de notre dialogue, il invoquait d'autres causes du même tonneau : l'émission des sons, les vibrations de l'air, les processus de l'audition, et des milliers d'autres phénomènes de cet ordre. Il négligerait ainsi d'énoncer les causes qui le sont véritablement : puisque les Athéniens ont jugé que le mieux était de me condamner, j'ai pour cette raison, jugé moi aussi à mon tour que le mieux était d'être assis ici même, et que le plus juste était de rester là et de me soumettre au châtiment qu'ils pourront bien décider de m'infliger. Car, par le chien, je vous promets qu'il y a beau temps que ces muscles et ces os se trouveraient du côté de Mégare ou de la Béotie, là où les aurait transportés une certaine opinion sur le meilleur, si je n'avais pas jugé plus juste et plus beau de préférer, à la fuite et à la désertion, la soumission à la Cité, quelle que soit la peine fixée par elle. Non, je vous assure, donner à de pareilles choses le nom de causes est vraiment trop absurde ! Certes, si l'on venait me dire que si j'étais privé de tout cela, d'os, de muscles et du reste, - et j'en ai, c'est certain – je ne serais, dans ces conditions, pas capable de faire ce que je juge bon de faire, là, oui, on ne dirait que la vérité. Mais prétendre que c'est à cause de cela que je fais ce que je fais, que je l'accomplis certes avec intelligence, mais non pas parce que je choisis le meilleur, ce serait faire preuve d'une désinvolture sans limite à l'égard du langage. Ce serait se révéler incapable de voir qu'il y a là deux choses bien distinctes : ce qui, réellement, est cause ; et ce sans quoi la cause ne pourrait jamais être cause.