Alfred Binet - naissance de la psychologie scientifique

Binet est un philosophe amateur, quand il écrit ses livres, (il a écrit quelques articles de métaphysique avant de faire son livre), et il dit que « c'est difficile, j'ai assez fait de métaphysique cette année, c'est très dur pour moi » et il demande beaucoup d'aide à Claparède qui a une formation philosophique forte et à Larguier desBancels à qui il dit « vous êtes ma conscience philosophique, aidez-moi, conseillez-moi des livres, comment est-ce que je peux lire Kant, Kant est si difficile, comment je peux accéder », et donc Binet a beaucoup de mal avec la philosophie, et il a la volonté de confronter ses travaux aux philosophes, parce qu'il était obligé de faire ce travail-là, de dire voilà quel est le rapport de la psychologie par rapport à la philosophie. On sait que Théodule Ribot a montré que la psychologie pouvait être une science à part entière, qu'elle pouvait se détacher de la philosophie, Théodule Ribot a fait ce travail théorique-là, mais Binet qui mène un travail pratique, il fait de l'expérimentation, il fait du travail concret de laboratoire, doit aussi se confronter à cette philosophie parce que d'une part il faut qu'il distingue la psychologie de la philosophie et d'autre part surtout les travaux qu'il mène dans son laboratoire, des travaux expérimentaux ont des implications philosophiques, parce que quand il étudie le rapport entre l'esprit et le corps, quand il mesure le pouls ou la tension artérielle et que ça lui permet de comprendre les comportements mentaux, lorsqu'il se fonde sur des analyses corporelles pour parler de l'esprit, alors ces travaux ont une implication philosophique dans le sens où il présuppose quelque chose d'un rapport entre le corps et l'esprit.

On est dans une période où les philosophes comme Bergson s'emparent de cette question-là, pour dire un certain nombre de propositions qui, pour Binet, n'apparaissent pas scientifiquement crédibles, pourquoi ? parce qu'elles ne s'appuient sur aucune expérimentation, c'est-à-dire que ce que critique Binet, c'est l'idée qu'une philosophie ne serait pas expérimentale, une philosophie qui serait spiritualiste, qui décrirait comme ça le rapport entre le cerveau, voilà, alors que moi, Binet, qui ai travaillé sur les hystériques, sur les amnésiques, sur les déficits, j'ai une expertise qui peut vous dire que le cerveau, il y a un niveau d'activation en dessous du seuil de conscience qui me fait penser que il y a une activité inconsciente particulièrement prédominante qui est sous-jacente à la conscience, et donc dire voilà on va pouvoir séparer clairement ce qui vient du cerveau, de ce qui vient de la conscience, Binet dit non, l'hallucination, l'imagination me prouvent que tout compte fait ce n'est pas si simple que ça.

Et donc Binet va assez fortement s'opposer, en tout cas il va rencontrer de manière conflictuelle Henri Bergson, autour de son livre l'âme et le corps.

Il va critiquer le dualisme, il va critiquer même l'idée d'un parallélisme entre le corps et l'esprit, donc c'est à la fois une critique de la philosophie officielle, académique, celle qui m'exclut, qui me rejette, et en même temps c'est l'idée que l'on peut fonder une philosophie physiologique, une philosophie expérimentale, une philosophie telle qu'aujourd'hui elle existe avec la neurophilosophie, avec la philosophie des neurosciences, la question de la conscience, où on s'aperçoit aujourd'hui que les gens qui font le plus avancer aujourd'hui sur la conscience et bien c'est ce que disait Binet, des gens qui travaillent sur le cerveau, c'est des gens qui travaillent Alzheimer, sur le déficit de mémoire, sur les problèmes de perception.

Ce rapport conflictuel avec la philosophie va vraiment apparaître quelques années après son livre sur l'âme et le corps en 1908 où Binet va se lancer dans un questionnaire, il va s'interroger sur la place qu'on pourrait donner à la psychologie dans l'enseignement supérieur, donc il mène une enquête sur l'enseignement de la philosophie, c'est un questionnaire qu'il envoie à de nombreux professeurs de philosophie à travers la France, en leur disant : « quel est votre enseignement de la philosophie ? est-ce que dans votre enseignement il y aurait une place pour parler de la psychologie expérimentale ? qu'est-ce que vous enseignez ? est-ce que vous rencontrez des problèmes ? » et parmi les réponses qu'il reçoit, beaucoup de professeurs se plaignent alors de l'influence de Bergson, les professeurs de philosophie se plaignent de l'influence trop importante de Bergson sur la philosophie, et lorsque Binet va faire part de cette enquête à la cité de la philosophie, Bergson est là et même s'il ne cite pas son nom, même s'il ne cite pas directement son nom à Bergson, Bergson sait qu'on parle de lui, et il y a un dialogue, un échange qui nous est rendu par le compte-rendu de la réunion de la cité de la philosophie qui est acerbe où Bergson avec toute la critique qu'il peut avoir, la finesse de sa plume attaque Binet de manière très dure. Suite à cette accusation qu'a fait porter Binet sur lui, en lui disant qu'il était trop présent et que les philosophes, les professeurs de philosophie trouvaient qu'il était trop présent, et surtout que les positions de Binet et de Bergson sont très différentes en terme de rapport sur la philosophie, Bergson ne laisse pas vraiment de place à cette psychologie expérimentale que Binet est en train de fonder, d'appliquer, et essaye d'instiller dans la philosophie française.