Alfred Binet - naissance de la psychologie scientifique

Alfred Binet et le théâtre

Sur cette photo, on voit Alfred Binet se déguiser et faire du théâtre en famille, mais parallèlement il enquête auprès des auteurs dramatiques et des comédiens, il s'interroge notamment sur la fameuse question du dédoublement de l'acteur.

Comment un acteur accueille son personnage, comment il se fait double, c'est-à-dire lui-même et le personnage et ça va être une problématique qui va beaucoup intéresser Binet, dans son enquête, il va se positionner directement face au paradoxe sur le comédien de Denis Diderot et il va expliquer que Diderot dit faux, c'est-à-dire que la thèse de Diderot, un acteur doit rester froid et tranquille pour aborder son rôle, il ne doit jamais se laisser gagner par le personnage et Binet dit qu'au contraire l'acteur idéal c'est un acteur qui joue avec sa sensibilité et qui accueille corps et âme son personnage, donc ça va être la première base de son enquête.

Binet va se lancer dans une deuxième enquête effectivement sur les auteurs dramatiques, il va se demander de quelle manière ces auteurs dramatiques ont l'impulsion d'écrire une pièce, comment leur vient l'idée d'écrire une pièce, c'est le processus créateur qui va fortement intéresser Binet et pour cela il va interviewer les grands auteurs dramatiques de son époque, alors il y a Victorien Sardou, François Coppée, Henry Meilhac, Edmond de Goncourt, Alphonse Daudet et puis André de Lorde, alors pour la plupart de ces auteurs Binet va suivre un protocole de questions en trois étapes. Finalement toute cette enquête amène Binet à se rendre compte que le processus créateur, et bien c'est quelque chose finalement d'assez empirique, et qu'il a voulu trouver des lois à ce processus créateur, mais ses conclusions vont pencher davantage vers un relativisme de la création littéraire, cependant il réussit à cerner cette mystérieuse impulsion et il va la décrire comme une pulsion qui mûrit physiquement à l'intérieur de l'auteur dramatique et jaillit au moment d'une crise pendant laquelle l'auteur est saisi, transi par un besoin impérieux d'écrire la pièce de théâtre.

Mais au cours de cette enquête, Binet a fait une rencontre qui va changer son rapport au théâtre.

Quand Binet va rencontrer André de Lorde, il va être surpris par la personnalité de l'auteur dramatique, cet auteur dramatique va se démarquer de tous les autres interrogés et il va y avoir là une véritable rencontre entre les deux hommes, une rencontre quasiment inexplicable, inexpliquée, peut-être un peu mystique parce qu'ils vont se trouver des points communs et une passion pour le théâtre d'épouvante et à partir de là Binet va abandonner son questionnaire et va quitter ses habits de scientifique pour avouer à André de Lorde qu'il a envie d'écrire une pièce de théâtre avec lui et Binet dira : « nous prenions feu tous les deux pour le théâtre ».

Dès 1905 Binet va faire le grand saut, le grand saut dans l'horreur et les deux hommes vont commencer une collaboration et donc se mettre à écrire des pièces de théâtre ensemble. Binet, pour lui, le médium du théâtre c'est une façon d'exprimer des idées nouvelles en matière de psychologie. Leur collaboration va être conséquente puisque treize pièces de théâtre seront le fruit de leur travail commun et encore aujourd'hui il y en a un certain nombre qui sont inédites, et que l'on peut aller découvrir dans les fonds d'archive de la bibliothèque nationale de France, la première pièce, date de 1905 et s'intitule « L'obsession ou les deux forces » et elle met en scène un personnage principal qui s'appelle Jean Desmarets et qui est inquiet pour son beau-frère qui souffre d'une obsession meurtrière et la chute de la pièce nous apprend que celui qui souffrait de l'obsession, ce n'était pas son beau-frère, c'était lui-même et on se rend compte que l'aliéniste a été dupé par le malade, et c'est une façon pour Binet et de Lorde de dire que la folie est souvent invisible, qu'elle surprend, qu' elle habite souvent l'homme qui a l'air sain d'esprit et que la folie est toujours enfouie en chacun de nous et qu'elle peut surgir brusquement lorsqu'on ne s'y attend pas.

La deuxième pièce marquante de la collaboration entre Binet et de Lorde, c'est une leçon à la Salpêtrière qui a été publiée en 1908 ; au fil de l'intrigue, on s'aperçoit que dans cette pièce le professeur Marbois qui est cet interne coupable, ressemble trait pour trait à Charcot ; celui qui a créé l'école de neurologie à la Salpêtrière et qui a formé des générations de scientifiques au cours de ses célèbres leçons est fortement critiqué pour sa pratique de l'hypnose auprès des hystériques qu'il montre comme des véritables cobayes de sa médecine.

Donc on a là une pièce terrifiante mais finalement une pièce assez politique et qui résonne spécialement à cette époque. On peut également parler d'une troisième pièce qui est publiée en 1909 et qui s'appelle : « L'horrible expérience », cette pièce relate les aventures du célèbre Docteur Charrier qui cherche, lui, à réanimer des cadavres, alors on a encore là la figure d'un médecin qui avait une marotte un peu étrange, cette pièce pose la question de la pratique de l'autopsie, est-ce que quand on intervient sur un cadavre, le cadavre est-il tout à fait mort ou est-ce qu'on ne risque pas d'avoir affaire à son âme, et l'âme qui peut provoquer le soubresaut d'un cadavre pourtant raide.

Il y aurait une autre pièce également à mentionner, elle s'intitule « Un crime dans une maison de fous » et elle est sous-titrée « Les infernales », elle date de 1925, cette pièce permet à de Lorde et à Binet de remettre en cause la compétence des médecins qui ne surveillent pas les patients dans l'asile et qui ne peuvent éviter des accidents comme cela donc des vieilles folles séquestrant, mutilant des patientes sur le point de sortir de l'hôpital et puis c'est aussi une critique des religieuses qui avaient un rôle très important dans ces hôpitaux et de Lorde et Binet disent que ces religieuses n'ont aucune faculté à soigner les gens et ne sont préoccupées que par leurs prières, et puis je terminerai sur la pièce qui s'intitule « Les invisibles », qui date de 1912, et c'est une pièce et qui fut représentée au théâtre de l'Ambigu cette fois-ci et c'est pour cette raison qu'elle est un peu moins sanguinolente que celle dont je viens de parler, au théâtre du Grand Guignol on ne se gênait pas pour faire gicler du sang sur les premiers rangs, cela faisait partie du spectacle mais au théâtre de l'Ambigu on devait respecter davantage des codes de bienséance et donc moins jouer sur la terreur, les effets spéciaux .

Ce théâtre du Grand Guignol est le théâtre où Alfred Binet et André de Lorde ont monté leurs pièces et comme vous pouvez le constater le théâtre a changé de nom, a changé de couleur de façade, il ne reste donc que les petites moulures au première étage qui sont bien reconnaissables.

Rappel

Cliquez sur le lien ci-après pour accéder à la vidéo : http://alfredbinet.univ-lorraine.fr/#Alfred_Binet_et_le_theatre

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