Occlusives vélaires et palatales en créole
Les phonèmes [c] et [ɟ], qui sont des occlusives palatales, s'écrivent respectivement « tj » et « dj », comme dans les mots « tjok » (coup de poing), « tjoké » (donner un coup de poing), « djok » (vigoureux), « djouk » (au football, tir avec la pointe du pied)), « djouboum » (plouf), etc. Ces deux sons appellent des commentaires dans la mesure où ils sont en concurrence, dans les mots créoles issus du français, avec les phonèmes [k] et [g] qui leur sont proches sur le plan articulatoire.
Les attitudes sont différentes d'une variété de créole à une autre, mais dans l'ensemble on peut dire qu'à part le créole martiniquais, toutes les autres variétés de créole ont presque totalement remplacé [c] et [ɟ] par [k] et [g] dans la plupart des circonstances. Ainsi, ce qu'un Martiniquais prononce , , , , , [ɟeri], [laɟ], [fiɟi], , un Guadeloupéen ou un Haïtien par exemple le prononcera plus généralement , , , , , [geri], , [figi], . Ceci ne veut nullement dire que la prononciation en [c] et [ɟ] est particulière à la Martinique, car il y a encore dans les diffé-rents territoires créolophones quelques locuteurs qui continuent à prononcer ces sons en pareils contextes.
Faut-il donc écrire ces mots avec « tj » et « dj » (tjè, tjek, tjénet, tjilot, tjenbé, djéri, ladjè, fidji, djenn) en créole martiniquais ou « k » et « g » (kè, kèk, kénèt, kilòt, kenbé, géri, lagè, figi, genn) dans les autres créoles? Ou finalement, si les autres créoles, et donc la majorité des créolophones ont déjà presque abandonné la prononciation en [c] et [ɟ], ne pourrait-on pas prévoir une harmonisation graphique et écrire ces mots de la même façon dans tous les créoles ? Cette dernière solution est intéressante dans la mesure où l'on peut en faire une règle. En fait, il se trouve que la variation dans la prononciation a une explication linguistique. La plupart des mots concernés proviennent du français et se prononcent également avec [k] et [g]. Pour ces mots issus du français, là où la plupart des créolophones prononcent [k] et [g], les Martiniquais prononcent [c] et [ɟ] si et uniquement si après ces sons il y a une voyelle antérieure, c'est-à-dire [i], [e], ou (« i », « é », « è » ou « en »).
On peut donc prévoir une règle pour le créole martiniquais (et qui serait aussi valable pour les quelques autres créolophones qui prononcent comme les Martiniquais) postulant que les sons [c] et [ɟ] s'écrivent « k » et « g » lorsqu'ils précèdent « i », « é », « è » ou « en » : dans les mots créoles d'origine française, on écrirait ainsi « kè », « kèk », « kénèt », « kilòt », « kenbé », « géri », « lagè », « figi », « genn » pour les différents créoles ; inversement, cela voudrait dire que les séquences graphiques « gi », « gé », « gè », « gen », « ki », « ké », « kè », « ken » se prononceraient [ɟi], [ɟe], [ɟ], [ɟ], [ci], [ce], , pour les Martiniquais et quelques locuteurs d'ailleurs. Ceci aurait en outre l'avantage de rendre plus cohérente la graphie de certains mots et de leurs dérivés : en créole martiniquais, à partir du mot [fatig] (qui s'écrit « fatig » = fr. fatigue), on obtient le verbe qui se prononce [fatiɟe] et qui s'écrirait « fatidjé » s'il n'y avait pas cette règle, mais qu'il est plus logique d'écrire « fatigé » (fr. fatiguer) avec un « g » comme le mot « fatig ». De même, le mot qui est prononcé donne lieu au dérivé : sans la règle qui est ici proposée, le premier s'écrirait « esplitjé » (fr. expliquer) et le second « èsplikasyon/esplikasion » (fr. explication) alors que le second est obtenu par dérivation à partir du premier. Il paraît donc plus souhaitable d'écrire « èspliké/espliké » et « èsplikasyon/esplikasion », la règle prévoyant que le « k » se prononce [c] devant le « é » du mot « espliké ».
Notons toutefois que la tendance générale actuelle en Martinique favorise plutôt le maintien de « tj » et « dj » à l'écrit dans ces cas.
Par contre, les sons [c] et [ɟ] se maintiennent assez largement dans les différents créoles pour les mots qui ne proviennent pas du français et s'écrivent sans hésitation avec « tj et « dj », comme dans les exemples suivants :
On accepte par ailleurs deux orthographes s'agissant des mots non issus du français pour lesquels la variation dans la prononciation est grande et instable, comme les mots « tjenbwa/kenbwa » (sorcellerie), « tjentjen/kenken » (personne insignifiante), « djenbo/genbo » (chauve-souris), « djenm/genm » ((coq) de combat), « tjip/kip » (bruit exprimant la désap-probation).
Attention :
Dans la graphie créole, on fait la différence entre le son [c] et la combinaison des sons [t] + , donnant , qui est très proche sur le plan articulatoire. Dans la pratique, il y a peu de possibilités de les confondre dans la mesure où est rare en créole : « match » (match), « matché » (faire un match).
Attention :
Il faut encore préciser qu'il existe en créole martiniquais une certaine variation entre les sons [c] et [ɟ] d'une part et les combinaisons de sons [tj] et [dj] d'autre part. Cette variation sera neutralisée par une graphie unique en « ti » et « di » respectivement. Cela concerne en créole martiniquais des mots comme « bondié » (Dieu), « diaman » (diamant), « antiè » (entier) ou « métié » (métier), qui ont tendance à être prononcés , , et [mece] au lieu de , , et [metje] dans les autres créoles. Dans la mesure où la prononciation largement dominante, tous créoles confondus, est celle en [tj] et [dj], mais aussi dans un souci d'harmonisation et d'homogénéisation, les formes écrites retenues pour ces types de mots sont celles en « ti » et « di ». Cela concerne tous les mots issus du français qui contenaient une séquence [tj] ou [dj] : « goutyè/goutiè » (gouttière), « mandyan/mandian » (mendiant), « matyè/matiè » (matière), « dyaré/diaré » (diarrhée), « dyèz/diez » (élégance), etc.