Méthodologie en histoire des sciences

Les pièges

L'essor des méthodes quantitatives en histoire des sciences est connexe de celui des études bibliométriques et scientométriques. Sans entrer ici dans le débat sur la pertinence de celles-ci pour « mesurer » l'activité scientifique dans un domaine, la qualité de la production scientifique d'un groupe, d'un laboratoire ou (pire) d'un individu, il convient de veiller à ne pas utiliser les méthodes numériques en réifiant les résultats statistiques et/ou numériques « obtenus ».

D'une part, les résultats obtenus sont évidemment tributaires des données initiales, des corpus ou des populations visés et de la qualité de la collecte des données. D'autre part, il faut veiller aux biais introduits par l'utilisation de catégories historicisées ou non. Des statistiques sur les enseignants en France d'une discipline au 19e siècle nécessitent d'avoir une connaissance fine de l'histoire des politiques d'instruction publique, des institutions d'enseignement, du champ disciplinaire et de ses liens avec l'enseignement, des représentations des disciplines dans les discours des acteurs de la sphère de l'enseignement, des diverses catégories professionnelles d'enseignant, de décider si l'on tient compte des lieux d'enseignement professionnels, militaires... et a minima de situer les résultats statistiques par rapport à diverses chronologies et/ou histoires.

Les effets d'objectivisation des catégories utilisées dans une base de données ou une analyse statistique ne donnent aucune plus-value scientifique aux résultats numériques obtenus (surtout dans le cas de populations ou corpus ouverts). Les méthodes numériques permettent par contre d'approcher heuristiquement dans leur ensemble des populations ou des corpus importants. Elles permettent aussi de tester des hypothèses. La plupart du temps, le recours aux méthodes qualitatives, en particulier à des études de cas est indispensable pour interpréter, analyser et critiquer les résultats des méthodes quantitatives.

ComplémentPropositions de lecture

Pour une analyse critique de l'utilisation de la bibliométrie pour « mesurer » l'activité scientifique des chercheurs, on peut lire Gingras Yves, La fièvre de l'évaluation de la recherche. Du mauvais usage de faux indicateurs, et Pontille David & Torny Didier. La manufacture de l'évaluation scientifique : algorithmes, jeux de données, outils bibliométriques in Réseaux. Communication - technologie - société, Éditions Hermes/La découverte, 2013, 25-61.

Pour une histoire de la bibliométrie, on peut consulter Didier Torny et David Pontille, La manufacture de l'évaluation scientifique : une histoire de la bibliométrie (conférence donnée dans le cadre des Jeudis de l'Histoire et de la Philosophie des Sciences), ou Godin Benoït, On the Origins of Bibliometrics, Project on the History and Sociology of S&T Statistics, Working Paper No. 33, 2006.

Pour une discussion dans le champ de la linguistique des effets d'objectivisation liés à une description statistique, voir Loiseau Sylvain, Les faits statistiques comme objectivation ou comme interprétation : statistiques et modèles basés sur l'usage, Travaux de linguistique 62 (1) 2011, 59-78.

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