Un article programmatique en histoire des mathématiques
En 1965, Jaroslav Folta et Luboš Nový, tous deux historiens des mathématiques tchécoslovaques, publient un article intitulé « Sur la question des méthodes quantitatives dans l'histoire des mathématiques » (Acta historia rerum naturalium necnon technicarum, special issue 1 (1965), 3-35. L'article est traduit dans un français légèrement approximatif) qui sera particulièrement séminal pour l'utilisation des méthodes quantitatives en histoire des mathématiques.
Complément : Voir en particulier :
Bos Henk & Mehrtens Herbert, The interactions of mathematics and society in history: some exploratory remarks, Historia Mathematica, 4, 1977, 7-30.
Gispert, Hélène , Champs conceptuels et milieux mathématiques: objets et moyens d'études, méthodes quantitatives en histoire des mathématiques, in Calculi 1929 – 1999, Acta historiae rerum naturalium necnon technicarum, Narodni technické muzeum v Praze, 167-185.
Goldstein Catherine, Sur la question des méthodes quantitatives en histoire des mathématiques : le cas de la théorie des nombres en France (1870-1914), Acta historiae rerum naturalium nec non technicarum, New series 3, 28, 1999, 187-214.
Sébastien Gauthier, La géométrie des nombres comme discipline, thèse soutenue à l'IMJ le 17/12/2007, (lire la préface).
Brechenmacher Frédéric, Une étude quantitative sur le temps long des occurrences du terme « matrice » en mathématiques, <hal-00502403>, 2008.
Juliette Leloup, L'entre-deux guerre mathématiques à travers les thèses soutenues en France, thèse soutenue à l'IMJ le 17 juin 2009, (lire la préface).
Dans cet article, Folta et Nový défendent l'idée d'utiliser les méthodes quantitatives développées dans le cadre de la scientométrie naissante et se proposent « de démontrer comment et dans quelle mesure les analyses quantitatives des grands ensemble de faits peuvent contribuer à un élargissement des procédés méthodiques dans l'histoire des mathématiques ». Ils illustrent leur thèse en proposant d'abord une analyse des « indices du développement global des mathématiques » (essentiellement des courbes de productions d'articles obtenus à partir des principales bibliographies professionnelles), puis de « suivre – à l'aide de moyens simples – les possibilités d'étudier plus en détail le développement des ensembles plus limités des mathématiques » et enfin « d'appliquer des procédés analogues aux recherches concernant le développement des activités scientifiques des mathématiciens ».
Ils s'intéressent d'abord aux thèses selon laquelle depuis Newton les progrès de l'activité scientifique suivraient une croissance exponentielle (« doublement de ses résultats pour chaque période de 10-15 ans »). Ils critiquent l'idée selon laquelle les indices construits sur des évaluations bibliométriques puissent mesurer « l'essor des connaissances scientifiques » :
« Il est nécessaire d'allier l'analyse quantitative à l'analyse qualitative et suivre un nombre plus élevé d'indices indépendants »
[Folta et Nový, 7-8]
Sans nier l'intérêt des méthodes quantitatives, ils en soulignent les biais et insistent sur le caractère heuristique des diverses fonctions sensées « mesurer » l'activité scientifique globale du champ mathématique et sur la nécessité de tester de manière détaillée les indices obtenus.
L'analyse quantitative des grands domaines des mathématiques s'appuie sur le dépouillement des revues bibliographiques. Il est donc nécessaire de connaître leur histoire, leur structure et leur visée. Folta et Nový montrent que selon les périodes et les périodiques des domaines comme l'histoire des mathématiques, la pédagogie et la philosophie sont plus ou moins pris en compte de même que les applications des sciences mathématiques.
Ainsi si l'on se réfère aux résolutions votées par le congrès de bibliographie mathématique de 1889, il sera difficile malgré la finesse de l'index, de faire confiance aux statistiques établies à partir du Répertoire bibliographique des sciences mathématiques, en ce qui concerne les applications des mathématiques ou les sciences astronomiques.
Il faut aussi repérer les évolutions des divisions et des classifications des revues bibliographiques. Pour des analyses fines, il faut s'assurer et justifier de l'homogénéité des corpus et se référer aux classifications des revues bibliographiques ne suffit certainement pas.
De nouveau, Folta et Nový mettent en garde leur lecteur contre un usage irraisonné des méthodes quantitatives, des doutes et des interrogations qui résonnent encore aujourd'hui comme autant de conseils de prudence méthodologique :
« Des exemples mentionnés ci-dessus ressortent non seulement les difficultés du traitement quantitatif, mais également de nombreuses questions pour la solution desquelles on pourrait se servir d'un traitement analogue. Pour les buts des études quantitatives de l'évolution de nos domaines des mathématiques on peut se fier au classement utilisé dans les périodiques analytiques seulement dans une mesure restreinte et il faut procéder à des études plus détaillées et bien laborieuses de la manière la plus ample. »
[Folta et Nagý, 26]