Lecture des paysages lorrains

L'observation aérienne

L'observation aérienne présente, pour le géographe, un incontestable intérêt ; mais pas seulement pour lui. Dès les débuts de l'aviation, les militaires ont compris tout le profit qu'ils pouvaient tirer d'un regard porté de loin et surtout de haut sur le territoire et les mouvements de leur ennemi. Avant de développement de la télédétection satellitaire, les grandes puissances se sont livrées à une surenchère continue d'espionnage aérien qui a débouché parfois sur de violentes réactions armées. Un des exemples les plus médiatisés est celui de l'U2 américain abattu par les Soviétiques, le 1er mai 1960 alors qu'il survolait – en pleine Guerre Froide – l'URSS pour une mission d'observation. C'est le même appareil qui a permis aux Américains, en 1962, de détecter la présence des missiles balistiques installés à Cuba.

La photographie de la planète, à altitude moyenne, est devenue systématique dans les années 1950 et les géographes ont utilisé très largement ces "couvertures" verticales en noir et blanc que les étudiants apprenaient à interpréter pour une meilleure compréhension de la morphologie terrestre et des aménagements humains.

Les images résultant d'observations obliques et à basse altitude peuvent paraître moins rigoureusement scientifiques que les images verticales car elles se prêtent moins volontiers à des mesures et des dénombrements ; elles offrent, en revanche, l'avantage de conserver toute leur réalité aux paysages tout en procurant la "distanciation" nécessaire à la compréhension des organisations spatiales. Parce qu'elle nous libère du détail, qu'elle nous permet de regarder de l'extérieur, dans sa globalité, notre objet d'étude, l'observation aérienne nous impose une démarche intellectuelle qui nous mène vers le système territorial par une approche globale. En effet, si notre ambition est de comprendre l'organisation cachée sous les formes, ce sont les structures qu'il importe de dégager et non plus seulement d'effectuer un inventaire d'objets géographiques ; ces derniers ont certes leur importance car ils sont toujours des marqueurs de fonctions mais ils ne sont pas au sommet de la hiérarchie territoriale. C'est, en effet, par le niveau supérieur, celui des grandes articulations, qu'il convient d'entrer dans l'analyse spatiale. Les grands faciès géographiques se décomposent, au niveau intermédiaire, en sous-ensembles cohérents dont le sens fonctionnel est exprimé par des objets caractéristiques de nature productive, culturelle, récréative...

Au lieu de procéder à un inventaire, efforçons-nous donc, au contraire, dans un premier temps, de discerner, dans le paysage présenté, de grands ensembles que l'on différencie facilement et de façon presque instinctive. Il ne s'agit pas de rechercher une homogénéité qui n'existe sans doute pas mais, par exemple, de distinguer le milieu urbain de son environnement rural ; nous pouvons ainsi séparer deux grands faciès géographiques qui recèlent bien des différences en leur sein mais qui sont, l'un et l'autre, relativement homogènes en comparaison de ce qui les oppose. Cette perception globale de l'espace peut paraître très intuitive, elle permet cependant d'établir un premier tri élémentaire.

La seconde étape relève de la même démarche, à savoir, distinguer à l'intérieur des grands ensembles précédents des sous-ensembles qui ont aussi une cohérence interne. Mais pour cette approche de deuxième niveau, la perception globale est complétée par une observation attentive des différences morphologiques visibles qui permettent d'individualiser chaque sous-ensemble par rapport aux espaces voisins. Ces différences morphologiques peuvent tenir à la densité du bâti (un centre historique dense), au type d'habitat (lotissement pavillonnaire, grands ensembles ou encore habitat mixte), à une fonction prépondérante (zone industrielle) mais aussi à a concentration de fonctions multiples qui peut rendre l'espace très hétérogène et caractéristique pour cette raison même. Ainsi peut-on, à l'intérieur d'un des grands faciès du premier niveau distinguer deux, tris ou davantage de sous-ensembles qui ont leur propre cohérence.

C'est du constat de ces différences à l'intérieur d'un grand faciès que naissent les questions géographiques essentielles, à savoir celles qui ont trait aux causes de ces différences. Pourquoi cette spécificité de chaque sous-ensemble ? Pourquoi ces différences entre sous-ensembles ? Quelles relations existent entre tous ces sous-ensembles ? En un mot, comment fonctionne cet espace ? Cette série de questions conduit naturellement au troisième niveau de lecture, d'une plus grande acuité : celui des "objets" qui caractérisent les fonctions. Il s'agit de repérer et de choisir, par exemple, un type d'usine (usine textile, construction industrielle moderne), une forme d'habitat, une infrastructure de transport (chemin de fer, canal) ; c'est aussi le monument daté (église château) qui renseigne sur la chronologie du développement d'un espace. Mais ce peut être aussi un élément caractéristique d'un faciès étranger, comme cette parcelle cultivée isolée au milieu d'un lotissement pavillonnaire : ce champ perdu dans la ville est le témoin d'un état antérieur de l'espace et du dynamisme urbain qui gonfle l'agglomération. Nous sommes donc loin de l'inventaire exhaustif ou aléatoire des "pièces" disparates d'un paysage. C'est le questionnement sur la ou les fonctions d'un sous-ensemble du paysage qui nous conduit aux "objets" chargés de sens géographique et non le contraire.

croquis
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Croquis : P. Rollin - commentaire : A. Humbert
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