Alfred Binet - naissance de la psychologie scientifique

En 1890, Binet est à un tournant de sa vie, puisqu'il a réussi sa licence de sciences naturelles mais c'est à peu près son seul diplôme, il a passé dix ans à étudier le droit pour l'abandonner, il a deux enfants, il a trente-trois ans, une licence de sciences naturelles en poche, alors certes il travaille avec Jean-Martin Charcot, il travaille dans le célèbre hôpital de la Salpêtrière mais s'il fait beaucoup de psychopathologie des hystériques, je pense qu'il a d'autres intérêts à ce moment-là puisqu'il a beaucoup étudié d'autres formes de psychologie notamment quand il lisait à la Bibliothèque nationale.

Il a peut-être d'autres rêves, en tout cas certainement beaucoup d'ambition et il a finalement une éducation importante et diverse, qui le laisse dans un milieu, dans un juste milieu qui n'en est pas un, comme un équilibriste entre plusieurs éléments, et c'est vrai qu'il va garder cette position d'équilibriste pendant toute sa vie, puisqu'il va toujours rester sur un fil, il ne sera jamais vraiment médecin, jamais vraiment un philosophe, et on va constamment le confronter à cette absence de diplômes, son absence de diplôme de médecine et cette absence de diplôme de philosophie, puisque à chaque fois qu'il va postuler à des postes institutionnels au Collège de France ou à la Sorbonne, au Collège de France en 1902 puis en 1904, on va lui faire comprendre qu'il n'a pas la formation médicale nécessaire pour prendre un poste de professeur de psychologie et quand il postule à la Sorbonne, on lui fait comprendre qu'il n'a pas les diplômes de philosophie nécessaires pour enseigner à la Sorbonne.

Il est toujours pris dans cet entre-deux mais c'est aussi ce qui va lui permettre d'être un personnage important et créatif, il n'est finalement pas pris dans les carcans dans lesquels sont pris d'autres personnages de l'époque et donc c'est ce qui va lui permettre d'inventer, surtout ce qui va l'obliger à inventer, il va devoir mettre en place d'autres moyens pour créer son champ, créer son art, faire émerger cette psychologie expérimentale à laquelle il pense et qui se situe vraiment entre la philosophie et la médecine.

C'est de cette place un petit peu précaire que finalement va naître toute la beauté d'Alfred Binet.Il va devoir mettre en place des outils nouveaux, ce sera l'Année psychologique, qui va lui permettre de créer un véritable réseau de chercheurs, qui va lui permettre de situer vraiment épistémologiquement, comme un champ de recherche à part entière, la psychologie physiologique expérimentale qu'il veut voir naître, et ce sera aussi le laboratoire école de la Grange aux Belles, qu'il va faire naître en 1905 et c'est aussi la direction qu'il donne au laboratoire de Beaunis, le laboratoire de psychologie physiologique de la Sorbonne, de créer un champ de recherche qui n'est pas totalement médical, pas totalement philosophique, qui profite des apports des deux disciplines pour véritablement créer une nouvelle science.

À partir du mois d'avril 1911, Binet commence à être très fatigué, il a déjà connu quelques années auparavant, un épisode de cette fatigue intense qui le cloue au lit, il écrit, enfin quelqu'un écrit pour lui et il signe simplement la lettre en avril, il est tellement fatigué qu'il ne peut plus écrire c'est quand même un comble pour lui qui écrit tous les jours à tous ses collaborateurs.

Binet ressent une extrême fatigue mais cette fois-ci elle est très intense, il écrit à son ami Théodore Simon en s'inquiétant, lui disant, « j'aimerais que vous veniez me consulter Docteur Simon parce que je me sens vraiment très fatigué, je ne peux plus rien faire ». Il a peur d'avoir un problème cardiaque, qu'avait eu son père, on sent cette inquiétude-là, il passe son été encore épuisé, il n'arrive pas à sortir de cette fatigue intense et malheureusement, ça va le mener à son décès en octobre 1911, il meurt de cette fatigue intellectuelle qu'il avait lui-même étudiée, il meurt surtout d'avoir constamment travaillé, de s'être tellement investi dans son travail, d'y avoir passé des heures, des heures et des jours et des années sur l'Année psychologique, sur les différentes associations qu'il organisait, sur cette science psychologique qu'il avait voulu faire émerger, sur ses derniers travaux qui jusqu'au dernier moment avant sa fatigue intense lui occupait l'esprit encore, Binet n'a fait que porter ces projets sur ses épaules, ils l'ont malheureusement tué.