Le principe de précaution et l'exemple des OGM

- Voila Pierre-Henry, nous allons peut-être commencer par rappeler ce qu'est le principe de précaution

- Ce serait utile

- C'est un principe qui est né en Allemagne sous le nom de Vorsorgeprinzip, c'est le principe de souci pour l'environnement, il est venu sous les projecteurs de l'actualité mondiale au sommet de la terre à Rio en 1992, la même année, il était inscrit dans le traité de Maastricht, donc il est devenu un patrimoine européen, ensuite en France nous l'avons encore hissé plus haut puisqu'il est rentré dans la charte de l'environnement dans le préambule de la constitution française

- En 2004 donc

- Il faut évidement donner une définition, je donnerais celle de Rio qui me semble être la plus claire, en cas de risques, de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitudes scientifiques ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption de mesures effectives permettant de prévenir la dégradation de l'environnement, dont va apparaître les trois points importants me semble t-il, il faut un contexte d'incertitude scientifique, il faut des risque graves ou et irréversibles selon les formules, et aussi il y a cette idée que trop souvent jusqu'aujourd'hui quand il y a une incertitude on en prenait prétexte pour ne rien faire et cette incertitude là qui n'est plus possible parce que dans certaines circonstances si on attends l'incertitude il sera trop tard pour agir, alors ce principe concerne d'abord l'environnement, mais assez rapidement il a été étendu au domaine de la santé et de l'alimentation, il y a son poids juridique qui s'est trouvé agrandi, d'abord c'était un principe plutôt éducatif qui donnait des bonnes recommandations, c'est devenu maintenant un principe opposable, et on peut donc bloquer des mesures, des décisions au nom du principe de précaution, alors sur son contenu, trois choses à retenir , la première, de lancer des recherches dans les labos qui vont travailler pour essayer de lever l'incertitude, peut-être d'ailleurs ce ne sera pas possible, deuxième chose, mettre en communication toutes les parties prenantes, non pas une communication descendante mais une communication horizontale où tout le monde va se parler, tous les acteurs, et puis la troisième chose, prendre des mesures mais qui sont des mesures proportionnées et révisables, alors révisables dans le sens où la science progressant on va pouvoir faire avancer les mesures et les transformer, alors je ne sais pas Pierre-Henri pour les OGM, est-ce que ça a été appliqué de cette manière ?

- Moi ce que je trouve intéressant dans le principe de précaution, c'est qu'il est novateur, beaucoup de gens n'ont pas bien compris, parce que dire au fond puisqu'il y a un risque, il faut prendre des mesures, tout le monde trouve ça logique, mais en réalité jusque là tant qu'on ne pouvait pas prouver que quelque chose était dangereux, il n'y avait aucun moyen de faire quoi que ce soit concernant cette action, donc ça c'était vraiment nouveau, alors sur les OGM on peut dire que d'une certaine façon, ça a été la première mise en application à une échelle large du principe de précaution, c'est dans les années 70 qu'on a commencé à bidouiller de l'ADN, on appelait ça l'ADN recombinant à l'époque, après ça s'est appelé manipulation génétique, je pense qu'on peut garder cette appellation là et donc OGM, ça veut dire organisme génétiquement manipulé

- C'est intéressant effectivement, manipulé au départ avant d'être modifié

- Les producteurs d'OGM ont dit manipulé ça fait pas gentil, vaudrait mieux dire modifié, alors qu'organisme génétique modifié ça veux rien dire, en fait par la sélection on modifie tous les organismes depuis belle lurette, donc du coup une fois qu'on a dit modifié, tout le monde a dit alors il n'y a rien de nouveau, ce qui est nouveau c'est qu'on manipule les gènes, on manipule physiquement en prenant des bouts d'ADN et en les faisant passer d'un organisme dans un autre, donc il faut bien appelé des organismes génétiquement manipulés, et là on a mis en place de façon très pure le principe de précaution puisque qu'avant même que les recherches se développent, les scientifiques eux-mêmes ont décidé d'observer un moratoire

- C'était à Asilomar il me semble

- Ça s'est terminé au bout d'un an de moratoire par un grand colloque à Asilomar dans lequel ils ont mis en place des procédures de sécurité pour les laboratoires, en fait il s'agissait pour les scientifiques d'une part de définir les bonnes pratiques de laboratoire dans le cadre de ce type de démarches qui étaient nouvelles à l'époque

- Donc on peut dire qu'entre les OGM et le principe de précaution, ça a bien commencé

- Oui, ça a bien commencé, certains esprits chagrin disent que si les scientifiques se sont tellement préoccupés de ces questions, c'est parce qu'ils se doutaient bien qu'un jour ou l'autre les gens s'inquiéteraient et qu'ils préféraient décider eux-mêmes des règles que laisser la société en décider pour eux, et jusqu'aux années 90 les choses se sont déroulées relativement gentiment sauf qu'on a commencé rapidement à se rendre compte que les OGM allaient être cultivés et que du coup peut-être qu'il y aurait des recherches à faire sur les risques associés ou les conséquences en tout cas que pourrait avoir la culture d'OGM, il y en a eu très peu des recherches comme cela, c'était une de mes spécialités, c'est que j'ai commencé des recherches dès 1988 sur ce que pourrais donner un jour la culture des OGM et j'avoue que j'ai été un peu déçu par la réaction des industriels parce qu'au début on a discuté gentiment jusqu'au jour où les OGM ont été prêt à être commercialisé où là ils nous ont dit qu'ils n'en avaient rien à foutre des risques, faut être clair, et même quand on leur a dit : mais il n'y a aucun risque qui vous intéresseraient sur lesquels ça vaudrait le coup qu'on travaille et là ils nous ont répondus : si il y en avait, on vous le dirais pas, donc c'était une fin de non recevoir des industriels français vis-à-vis de ces questions, industriels français à l'époque c'était Rhône-Poulenc, Monsanto, mais là le principe de précaution a été mis en place de toute façon même si les recherches n'ont pas été faites, justement ce qui est embêtant c'est que le principe de précaution, il a été appliqué par le fait qu'on été mise en place des structures chargées d'autoriser ou non la mise sur le marché de ces OGM en fonction d'essais qui seraient fait, et là, la question de savoir quels essais devait être fait a été posée et ça a été un problème compliqué de rapport de force entre l'état, les scientifiques, les industriels, etcetera. Mais on peut dire que le principe de précaution a été mis en place, puisque les commissions étaient en place avant que les commercialisations soient réalisées, et avant à fortiori qu'il y eu le moindre problème alors que d'habitude on s'occupait des problèmes qu'une fois qu'ils étaient arrivés, là on s'en était occupé avant, il n'y avait rien à dire

- Est-ce que ces organismes marchent bien, parce que l'impression est quand même qu'il y a en particulier en Europe une situation de blocage, effectivement en application du principe de précaution, mais de mon point de vue de manière insatisfaisante puisqu'on a l'impression que ce principe est une sorte de case qui bloque tout alors que dans son essence c'est un principe de mise en délibération, c'est pas un principe qui est substantiel, c'est-à-dire qui entraîne automatiquement certaines conséquences mais c'est un principe qui dit on va commencer à discuter parce que il y a de l'incertitude et qu'en incertitude l'action doit être fine, intelligente, réfléchie et il semble que c'est ce qu'il ne se passe pas puisqu'on a l'impression qu'on est dans un jeu de tout ou rien, c'est-à-dire soit on bloque tout sinon il y a tout qui lâche, alors que le principe de précaution serait justement un accompagnement avec l'incertitude pour avoir une action qui est tout le temps fine et sur la réalité des choses et pas sur une idéologie ou des idées à priori

- Il y a beaucoup de choses à dire sur ce point là, à la fin des années 90 j'ai donc écrit ce rapport sur le principe de précaution dans le cadre des OGM, du coup j'ai été interviewé toute une série de gens, et en particulier le responsable d'une entreprise qui s'appelait Novartis qui avait commercialisé un des premier maïs transgénique en Europe, enfin qui essayait de le commercialiser, ce maïs avait été accepté au niveau français, accepté au niveau européen puis rejeté par Alain Juppé sur les conseils de Corinne Lepage qui était son ministre de l'environnement de l'époque en France, ce qui était très curieux puisque c'était la France qui l'avait accepté, qu'il l'avait fait accepter à l'Europe et qui le refusait de s'adonner à un imbroglio administratif extraordinaire, mais en tout cas, Novartis à l'époque, le responsable de Novartis nous a dit qu'à Bruxelles il avait lutté contre le fait qu'il y ai des débats sur les OGM avant leurs commercialisations et qu'il le regrettais profondément, le jour où j'ai obtenu ça à Bruxelles j'avais l'impression d'avoir gagné quelque chose et aujourd'hui je me rends compte de tout ce que j'ai perdu puisque en refusant le débat ça a autorisé une vision très complot

- Donc on pourrait revenir sur le fait que le principe de précaution c'est vraiment un principe délibératif et que vouloir court-circuiter le débat pour aller plus vite, c'est en fait jouer contre soi

- Entre nous, je ne suis pas sur que cela aurait changé grand-chose à posteriori, parce que des débats on en a eu et que les positions maintenant sont totalement figées depuis 10 ans, donc on en a un peu marre, je rencontre toujours les mêmes gens quand je fais des débats, ils disent toujours la même chose et moi aussi, on a l'impression que ça avance pas, donc je pense que le malheur c'est qu'il y a quasiment pas eu de débat au sein de la communauté scientifique, les débats ont été toujours des débats publiques mais il y a très peu de débats interne, ça a été très différent dans d'autres pays, aux USA la perception de la nourriture est très différente de ce qu'elle est ici, le nombre d'accident de santé du à des problèmes de nourriture est bien plus élevé aux USA qu'en France par exemple, mais les américains se soucient peu de cette question globalement

- Le risque est aussi quelque chose de très subjectif

- Absolument, on le voit bien puisqu'on n'arrête pas de nous seriner avec les accidents de voiture qui ne tuent presque personne alors qu'on laisse des bactéries résistantes aux antibiotiques tuer trois fois plus de monde, donc on a effectivement en France en tout cas et dans un grand nombre de pays européen une réaction forte contre les OGM dès le début et le fait d'avoir mis en place le principe de précaution, évidement en est renforcé, puisque du coup on peut dire regardez, il y a des commissions qui s'en occupe, etcetera , etcetera, la question de la légitimité des commissions en questions, du point de vue de leurs constitutions va devenir un sujet de débat, la question de savoir comment les tests d'innocuités sont faits, va être un sujet de débat, et donc du coup bien que le principe de précaution soit mis en œuvre, tout compte fait la société civile va commencer à examiner chacun des éléments de la façon dont a été mis en place le principe de précaution, constater qu'il n'y a presque pas de recherche, constater que souvent les experts ont des conflits d'intérêts, etcetera, et malgré la mise en place du principe de précaution et bien cette histoire d'OGM va devenir un système totalement conflictuel

- Donc blocage...

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