Le "faire comme si" dans le domaine de la connaissance
Il y a donc un troisième paradoxe, le paradoxe des fictions dans le domaine de la connaissance en général, Vaihinger montre effectivement, c'est n'est qu'un paradoxe apparent, c'est-à-dire le fait d'utiliser des fictions dans le processus de connaissance et d'atteindre des résultats corrects n'est qu'un paradoxe apparent parce que la fiction qu'on utilise dans le raisonnement soit on va être amené à la corriger, soit on est tout à fait conscient que c'est une fiction et on ne prétend à aucun moment lui donner une valeur de vérité, par exemple comme dans les expériences de pensées on utilise des fictions mais on ne prétend pas que ce que décrit l'expérience de pensée est vrai, alors pour le premier cap, c'est ce qu'il appelle la théorie des fictions corrigées, on peut y prendre des exemples aussi bien en mathématique que dans les sciences économiques, que dans la physique, et cetera... Par exemple en mathématiques Vaihinger traite des équations et il dit pour résoudre certaines équations mathématiques complexes on va introduire de chaque côté de l'égalité une quantité positive donnée, donc c'est fictionnel, ça fausse les données du problème mais en introduisant ces grandeurs supplémentaires ça va permettre de simplifier l'équation, une fois que l'équation est simplifiée, on va pouvoir poursuivre sa résolution et dans un deuxième temps les grandeurs positives qui ont été ajoutées, on va les supprimer, on utilise une deuxième fiction, on réduit une grandeur positive à zéro, c'est une fiction, une grandeur positive n'égale pas zéro, on a donc un phénomène de compensation et il fait la même analyse à propos d'Adam Smith, Adam Smith qui dans la richesse des nations pose un axiome fictionnel qui est que les hommes dans toutes leurs actions sont motivés uniquement dans la recherche du profit de l'intérêt individuel, évidement c'est une fiction puisque nous sommes motivés heureusement pas d'autres sentiments que la recherche de profits, et Adam Smith a par ailleurs écrit un livre sur les sentiments moraux qui montre bien que nous pouvons accéder à la bienveillance, à la générosité, et cetera...
Mais sa fiction est stratégique, il s'agit de rendre compte des échanges économiques et de dégager certaines lois générales du commerce, donc c'est à partir d'un postulat fictionnel, les hommes dans leurs relations commerciales sont motivés uniquement par la recherche du profit qu'Adam Smith va dégager un certain nombre de lois générales, la loi de l'offre et la demande, la loi de la concurrence, et cetera...
Mais évidemment Adam Smith est conscient que ce sont des lois générales qui ne vont pas forcément s'appliquer dans tous les cas, c'est-à-dire qu'ensuite une fois que l'on a dégagé ces lois générales des échanges, il faut au cas par cas en fonction des situations précises modifier la loi ou éventuellement la transformer pour pouvoir intégrer la spécificité de la situation, c'est-à-dire il y a toujours un processus de correction, d'adaptation des lois générales au cas, on peut très bien envisager des échanges justement qui ne sont pas basés sur l'intérêt, sur le profit individuel et donc dans ces cas-là, il va falloir faire des exceptions ou dire que là, la loi ne s'applique pas de la même façon, et cetera...donc on a affaire à un processus de correction.
Dans le domaine de la connaissance, on peut qu'effectivement le fictionnalisme est une théorie qui est radicale, le fictionnalisme ne se contente pas de dire nous utilisons ponctuellement des fictions dans nos procédures théoriques mais déjà chez Hans Vaihinger il prend la tournure plus générale consistant à dire tous les outils théoriques que nous utilisons que ce soit les concepts, que ce soit les lois, et cetera, sont des fictions, il y a une radicalisation qui consiste à dire que l'ensemble de nos outils théoriques sont en fait des constructions qui ne peuvent pas prétendre correspondre parfaitement à la réalité, mais sont de simples approximations, des symboles qui nous permettent de faire des prévisions et donc de nous adapter à la réalité.
Il y a un argument qui est utilisé par Vaihinger et qu'on trouvait déjà chez David Hume qui consiste à dire, une loi c'est une généralisation, une loi c'est un rapport supposé constant entre plusieurs phénomènes, mais le problème c'est que la loi elle a été établie à partir de l'observation d'un nombre limité de cas et rien ne permet d'être sûr que la loi que j'ai observée jusqu'à présent s'appliquera au cas futur , on peut prendre un exemple très simple, jusqu'à présent le pain m'a nourri, puis-je en dégager la loi générale que tout pain est nourrissant, peut-être pas, ça se trouve le pain que je vais manger là est rempli de poison et je vais mourir, donc rien n'autorise à étendre un loi au-delà des cas que nous avons jusque-là observés, sinon on suppose que le futur va se conformer au passé, mais ça c'est absolument pas logique comme démarche, et donc Vaihinger considère lui aussi que les lois sont amenées sans cesse à être corrigées et modifiées, qu'on va toujours trouver des phénomènes qui vont contredire ou du moins mettre en cause la loi qu'on avait jusqu'à présent observée et il dit on ne doit pas se prononcer sur la valeur de vérité des lois, il faut se contenter de les considérer comme des outils théoriques efficaces.
Par exemple en physique, l'atome est selon lui une fiction, c'est-à-dire un élément supposé indécomposable, c'est une fiction dans la mesure où l'on sait très bien qu'il n'existe pas d'élément ultime de la matière, c'est juste une convention selon lui, dans le domaine de l'histoire également une période comme le moyen-âge ou les lumières, le découpage que fait l'historien du devenir humain correspond à des fictions dans la mesure où on introduit un principe d'unité, par exemple les lumières qui recouvrent en réalité des courants très hétérogènes, par exemple les lumières en France, en Allemagne, en Angleterre ne sont pas les mêmes, mais c'est un terme qui sert à regrouper des choses très différentes, c'est ce qu'il appelle un principe d'homogénéité mais qui ne peut pas prétendre correspondre à la réalité.
De la même manière, les catégories fondamentales de la pensée telle que le rapport substance prédicat ou la causalité sont des catégories fictionnelles selon Vaihinger dans le mesure où par exemple on ne peut pas décomposer la réalité en substance et prédicat, il prend l'exemple du morceau de sucre.
C'est pour les besoins de la communication et pour les besoins de l'exercice du jugement que nous décomposons un morceau de sucre en substance dotée de propriété, dureté, blancheur, et cetera... en réalité nous avons affaire à une unité, à une réalité unie et c'est nous qui introduisons le découpage substance propriété pour les besoins du langage, pour les besoins du jugement et de la communication.