Comment définir la connaissance ?

Pierre Willaime]

Donc la philosophie de la connaissance, c'est le domaine de la philosophie qui cherche à répondre aux sceptiques. Le sceptique va remettre en cause nos croyances et va nous demander de les justifier et la philosophie de la connaissance va essayer de trouver des définitions de la connaissance qui résistent aux défis sceptiques. Il y a une définition classique de la connaissance. Est-ce que tu peux nous l'expliquer, Benoit ?

[Benoît Gaultier]

Oui la définition classique de la connaissance, c'est la définition platonicienne qui consiste à définir la connaissance comme l'opinion droite pourvue de raison ou en termes plus contemporains, la croyance vraie justifiée. On va considérer que ces deux choses sont à peu près équivalentes donc il y a trois clauses à satisfaire : la croyance, la clause de croyance ; la clause de vérité ; la clause de justification.

Pourquoi avoir besoin de ces trois conditions pour qu'il y ait connaissance ?

Alors la première condition, la condition de croyance : elle vise à montrer qu'on ne peut pas savoir quelque chose - donc utilisons l'abréviation habituelle – P - pour Proposition, on peut pas savoir que P si on ne croit pas que P. Par exemple si j'ai passé un examen et que je doutais de la réponse à fournir, je n'étais pas sûr et que une fois que j'ai les résultats, je dis « ah, bon sens je le savais, c'était ça la bonne réponse ! », tu pourrais m'objecter : « mais tu ne le savais pas puisque tu doutais, puisque tu ne croyais pas que c'était la bonne réponse ! ». Et cette objection serait bonne, serait justifiée. Donc on a intuitivement besoin de croire que P pour savoir que P.

Deuxième condition, c'est la vérité. Ça consiste à dire qu'il ne peut pas y avoir de connaissance sans vérité de la proposition crue. Autrement dit, je ne peux pas savoir qu'il y a un fauteuil rouge dans cette pièce s'il n'y a pas de fauteuil rouge dans cette pièce. Le fait que les choses aillent ensemble apparaît dans le fait qu'il soit contradictoire de dire comme « je sais qu'il y a un fauteuil rouge dans cette pièce mais il est faux qu'il y ait un fauteuil rouge dans cette pièce ». Intuitivement on a la sensation d'une contradiction très forte entre ces deux propositions. Donc la connaissance implique la vérité.

[Pierre Willaime]

Donc nous avons deux premières clauses qui sont la croyance et la vérité mais ça ne suffit pas pour s'assurer que nous sommes face à une connaissance.

[Benoît Gaultier]

Oui, parce que il faut aussi la troisième clause, la clause de justification. Cette clause-là, elle a pour fonction de dire qu'il serait trop facile d'avoir des connaissances s'il y avait simplement les deux premières conditions à satisfaire. Par exemple, si je crois en prenant mon café le matin qu'en raison du petit goût que j'ai en bouche quand je l'avale, il va faire beau à Nancy ; si j' attribue, si je considère qu'il y a une connexion directe entre les deux choses et qu'il fait beau à Nancy et que je te dis : « Tu vois, Pierre, je le savais, j'avais ce petit goût en bouche ce matin, je savais qu'il ferait beau ce matin », tu pourrais m'objecter que je ne savais pas qu'il ferait beau à Nancy ce matin parce qu'il n' y a pas de bonne raison, je n'avais pas de bonne raison de croire qu'il ferait beau à Nancy ce matin. Cette raison que j'invoque n'en est pas une qui soit réellement satisfaisante, ce n'est pas une bonne raison. Et de ce point de vue, la croyance en question est certes vraie mais parce qu'elle n'est pas justifiée, alors on peut m'objecter que je ne sais pas qu'il ferait beau à Nancy ce matin.

[Pierre Willaime]

Donc, une fois qu'on a ces trois clauses, croyance, vérité et justification, est-ce que nous sommes assurés d'être face à une connaissance ?

[Benoît Gaultier]

Alors non. On sait au moins depuis Gettier, même s'il y a des exemples, des contre- exemples qui ont été proposés auparavant mais au moins depuis Gettier, depuis son fameux article de 1963, qu'on a des exemples de croyance vraie et justifiée qui intuitivement ne sont pas des connaissances. Et on peut penser par exemple au cas d'une bergère qui voudrait compter ses montons.

Elle est face à son champ, elle compte ses moutons, elle en compte cinq, elle les compte un par un et le cinquième mouton qu'elle compte, en réalité c'est un rocher derrière lequel se trouve un mouton. Donc elle croit qu'il y a cinq moutons dans son champ. Cette croyance est vraie puisqu'il y a cinq moutons dans son champ mais on a aussi envie de dire que cette croyance est justifiée parce qu'elle a de bonnes raisons de croire qu'il y a cinq moutons dans le champ. Elle fait confiance à sa perception, elle fait confiance à ses sens et elle a raison de le faire : d'habitude, ils sont fiables, elle est à bonne distance, le temps est clair, ce rocher qu'elle prend pour un mouton ressemble effectivement très fortement à un mouton. N'importe qui d'autre que la bergère aurait pris ce rocher pour un mouton à la position dans laquelle elle se trouvait. Donc on a une croyance, la croyance qu'il y a cinq moutons dans le champ, qui est vraie et justifiée et pour autant, intuitivement, on a envie de dire qu'elle ne sait pas qu'il y a cinq moutons dans le champ.

[Pierre Willaime]

Il y a un autre exemple qui est célèbre, c'est celui de Russell. Donc c'est un exemple qui est antérieur à Gettier. C'est l'exemple d'une horloge, une horloge cassée. Prenons un homme qui va se coucher le soir ; il va se coucher à dix heures du soir. L'horloge indique dix heures. Et l'horloge tombe en panne au moment où il va se coucher. Donc notre homme se réveille le lendemain ; il regarde l'horloge et l'horloge indique dix heures. Il forme la croyance qu'il est dix heures du matin. Il est effectivement dix heures du matin donc cet homme a une croyance vraie, il est dix heures du matin et elle est justifiée ; sa justification, c'est croire ce que l'horloge lui montre et l'horloge habituellement lui indique l'heure de manière correcte. Sauf que l'horloge étant cassée, elle s'est arrêtée pendant la nuit, l'horloge indique par chance qu'il est dix heures. Donc dans ce cas-là, on a des difficultés à dire que notre homme est face à une connaissance, à une connaissance de l'heure qu'il est. Donc c'est un autre exemple qui semble invalider la définition classique de la connaissance.

[Benoît Gaultier]

Effectivement c'est un des exemples que je trouve les plus parlants pour réfuter cette définition classique. Et pour résoudre la difficulté de cette définition, d'autres définitions de la connaissance vont être proposées dans l'épistémologie contemporaine.

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