Les acteurs et le contexte du principe de précaution

- Alors Pierre-Henri, quid des acteurs du principe de précaution

- C'est tout le monde à priori puisqu'il va y avoir débat, discussion, mais il y a évidement des acteurs plus visibles que d'autres, alors le premier acteur c'est quand même celui qui propose l'innovation, qui produit les innovations, ce sont essentiellement les industriels, donc le premier acteur c'est l'industriel qui va proposer cette innovation par exemple par une plante transgénique, alors les plantes transgéniques il faut dire deux mots de ce qu'elles sont, il y a deux sortes de plantes transgéniques, celles qui résistent à un herbicide et qui vont être vendues avec l'herbicide de telle façon que l'agriculteur n'a plus qu'a semer sa plante et mettre l'herbicide et comme l'herbicide tue les autres plantes, il ne restera plus que la plante cultivée, et puis ceux qui produisent un insecticide et qui permet aux plantes de ne pas se faire manger par des insectes, voila en gros, mais évidement il y a pas mal de plantes qui font les deux, mais c'est essentiellement ça des OGM depuis le début jusqu'à maintenant, alors la question est de savoir si il y avait innocuité de ces plantes et les industriels ont évidement fait des tests, la question est de savoir si ils étaient acceptés par les autres acteurs, alors les autres acteurs c'est qui, ça va être de l'autre côté si on peut dire la société civile en général représentée par les pouvoirs public, les pouvoirs public eux ont un rôle d'arbitre entre les industriels et la société civile, ils ne sont pas que du côté de l'un ou du côté de l'autre, et puis il y a un quatrième groupe, ce sont les scientifiques qui vont avoir une fonction de recherche, recherche qui va conduire à l'innovation, donc évidement les OGM, c'est le résultat des recherches en biologie moléculaire qui ont conduit en fait qu'on pouvait découper l'ADN en petits morceaux, qu'on pouvait en transférer d'une plante à l'autre, etcetera, ça c'est le premier jeu qu'on jouait dans cette affaire, le deuxième jeu donc du coup, ça va être un jeu d'expert puisque les scientifiques vont s'imposer comme ceux qui connaissent l'innovation en question et ceux qui peuvent dire des choses dessus, et puis il y aurait un troisième jeu qui est celui de répondre au principe de précaution, puisque le principe de précaution normalement demande des recherches, et là, c'est là que ça se complique un peu, parce que les recherches qui sont demandées par le principe de précaution n'ont à peu près rien à voir avec les recherches qui servent à fabriquer l'innovation, la biologie moléculaire sait fabriquer des plantes transgéniques, c'est plus ou moins du bricolage, mais on sait le faire, la question de savoir si ces plantes transgéniques sont dangereuses, c'est pas la biologie moléculaire qui peut le dire, et ça c'est une difficulté parce qu'ils sont dangereux pour la santé ou l'environnement, donc il s'agit de problème de toxicologie, éventuellement de cancérologie si jamais ça peut donner des tumeurs, il s'agit de problème d'écologie, il s'agit de problème d'évolution et du coup les scientifiques qui sont compétents pour parler des risques sont à priori pas les mêmes que ceux qui fabriquent les OGM, le malheur c'est que ceux qui fabriquent les OGM considéraient qu'il n'y avait qu'eux qui savaient ce que c'était qu'un OGM, donc dans les premières commissions on a trouvé essentiellement des scientifiques qui savaient fabriquer des OGM, mais qui connaissaient rien aux questions de l'environnement, ni de toxicologie, ni de rien du tout et qui évidement défendaient le fait que les OGM étaient une bonne chose puisque c'était leur enfant

- Dites moi, est-ce que là c'est pas ce qu'on retrouve finalement à l'intérieur de la science, ce qui existe aussi dans la société, une forme de cloisonnement, c'est-à-dire que chacun est dans son tuyau, expert de son tuyau, mais très peu de scientifiques sont transversaux

- Oui on ne peut pas être transversal, on peut avoir une compétence dans son domaine et on peut essayer de se renseigner dans les autres

- On peut faire se rencontrer les tuyaux pour que les gens en interdisciplinarité essaye de discuter

- On peut essayer de faire ça, le malheur dans cette histoire là dès le début la communauté scientifique était un peu scindée, les quatre acteurs majeurs, les industriels, la société civile, le pouvoir politique et juridique et puis les scientifiques ont commencés à jouer dans ce jeu

- Je voudrais m'arrêter sur ces quatre acteurs principaux et essayer de montrer comment ce jeu d'acteur peut être éclairé par une approche globale de la société, je trouve cela assez fascinant de voir comment la société dans laquelle nous vivons depuis deux siècles, une société libérale s'est constituée à partir de certain présupposé dont Adam Smith le philosophe et Moranis a donné les principaux lignements

- Et économiste

- Et économiste, il avait beaucoup de cordes à son arc, justement c'est quelqu'un qui a une vision assez large, il a mis en place les bases de cette société libérale à travers cette idée que finalement pour arriver au plus grand bien du plus grand nombre, il fallait que chacun travaille pour son intérêt égoïste et cherchant son intérêt, il y avait et ça c'était une forme de miracle que lui-même avait du mal à expliquer tout en le constatant, une main invisible qui rabattait les cartes et finalement faisait ressortir le meilleur bien pour tous, donc dans cette vision, tout ce qui est du domaine de la politique de la loi apparaît comme un encombrement, puisqu'au contraire il faut stimuler chacun a être très individuel dans son action, c'est ce que j'appelle une vision de l'action déliée, chaque acteur joue pour lui dans son coin, le scientifique, l'industriel, etcetera, et c'est vrai que ça a donné à certains égards un progrès, peut-être avec certains revers, mais on va pas cracher non plus sur tout ce qu'on a pu obtenir par ce modèle économique sur les deux siècles qui sont passés, mais c'est ce modèle qui est entrain d'arriver à son terme, c'est-à-dire aujourd'hui on voit ce qui a été ignoré très longtemps, ce qu'on appel les externalités, c'est-à-dire les effets externes par exemple de pollution qui ont été générés et qui était largement ignorés, qu'on ne voulait pas voir ou qu'on voyait pas, aujourd'hui nous reviennent à la figure avec une violence très forte, et ce qu'on découvre, les bases sur lesquelles s'est appuyé ce développement de notre économie libérale, il y en a deux qui ne fonctionne plus, la première c'est une certaine vision de la nature, nous les hommes plaçons hors de la nature, sur la nature, nature qui est une espèce de fond que nous exploitons et nous supposons que cette nature est illimitée dont on pourra toujours prélevé, qu'elle est résiliante, c'est-à-dire que lorsqu'on l'abime elle se répare, et ces bases là aujourd'hui on se rends compte qu'elles ne sont plus là, puisqu'on voit que la nature est finie, par exemple les énergies fossiles qu'on va terminer d'épuiser et qu'elle n'est plus résiliante, elle se détériore, la biodiversité, Pierre-Henri tu pourras nous en parler qui est entrain de s'effondrer dans de nombreux endroits du monde, et puis une deuxième base de l'économie libérale également qui ne fonctionne plus, c'est que la vision de la raison qu'on avait a agir de manière raisonnable, ça a été très largement la raison scientifique qui est devenue le synonyme de la raison, ce qui n'a pas toujours été le cas quand on remonte en particulier en philosophie à Aristote, même à Descartes, la raison s'est pas seulement une façon de calculer pour avoir un résultat optimal, c'est une façon de réfléchir sur les valeurs, sur les objectifs, sur les manières d'être ensemble, de faire de la politique, donc la raison est donc là très importante, alors Adam Smith quand il a cassé la raison politique renvoyant chacun à son égoïsme a finalement réduit la raison à cette raison calculatoire que chacun mène dans son coin pour optimiser son bien, et bien c'est cette raison là qu'il faut réinventer, enfin plutôt la raison d'avant, la raison du raisonnable puisque du simple rationnel il va falloir retrouver, donc ce jeu d'acteur aujourd'hui conduit finalement à un échec et il faut réinventer un nouveau jeu d'acteur dans lequel la politique va retrouver une place largement perdue si on veut pouvoir remettre la société sur rail et ne pas aller dans le mur

- Ce que tu es entrain de me dire m'évoque beaucoup de choses, la première c'est qu'effectivement l'un des problème que l'on a dans cette affaire c'est que les scientifiques sont plus ou moins convaincus d'être les seuls à être les dépositaires de la rationalité, on sait bien que la science ne dit pas le bien ou le mal, donc la science ne peut pas dire où on doit aller, elle peut dire comment on peut aller quelque part mais elle devrait pas dire où on doit aller, un acteur qui a été remarquablement absent effectivement ce sont les philosophes parce que dans une société rationnelle il y a des philosophes qui devraient remplir ce rôle

- Ne pas dire le bien et le mal mais au moins s'interroger sur le bien et le mal

- Et interroger les responsables politiques sur le bien et le mal, on a un peu l'impression que le pouvoir politique est devenu relativement inopérant face au pouvoir économique et ça a été une décision politique qui n'a pas été prise directement en France mais qui a été prise d'abord ailleurs essentiellement par Reagan et Thatcher dans leur acception du libéralisme qui est celle que tu viens de décrire et qu'on attribue à Adam Smith, très sincèrement je n'ai jamais lu Adam Smith, j'en ai lu des extraits et je regrette, je m'en veux de ça, parce que ce que j'ai entendu dire c'est qu'après l'histoire de la main invisible, Adam Smith dit qu'il y a quand même des trucs qui sont pas gérables de cette façon là, et qu'il doit y avoir une gestion collective sur certains aspects des biens sociaux et malheureusement c'est quelque chose qu'on oublie

- C'est un peu moraliste aussi, il introduit un peu de morale

- Donc c'est quelque chose qu'on oublie de lui faire dire

- Et ça, ça n'intéresse pas les généraux

- Ça n'intéresse pas les Friedman et compagnie qui effectivement ont lancé le libéralisme actuel et malheureusement les philosophes n'ont pas été des acteurs pour discuter de la question des OGM, c'est vraiment resté entre les quatre acteurs dont je viens de parler, politique, entreprise, société civile et scientifique

- Le philosophe doit mettre en mouvement une réflexion de délibération

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